Archives du Théâtre 140


The Cage par le San Quentin drama workshop



Le Phare Dimanche

10-12-1972

Au Théâtre 140

The Cage

par le San Quentin drama workshop

LE Théâtre 140 est le lieu d'une expérience aussi passionnante qu'enrichissante à la fois sur les plans dramatique et humain. Composée d'anciens détenus de la fameuse prison américaine de San Quentin, cette troupe qui effectue actuellement une tournée à travers l'Europe — tandis qu'une équipe-« sœur » parcourt les Etats américains — nous apporte un grand souffle de vérité. La pièce qu'elle a emmenée dans ses bagages, the Cage, est un témoignage aussi émouvant que puissant sur la réalité du monde concentrationnaire. Son auteur, Rick Cluchey, l'a écrite en prison et il l'interprète avec Micil Murphy, Jonathan Rosen et R.S. Bailey. Disons immédiatement que la pièce est d'une très grande qualité et que les quatre interprètes font preuve d'une technique, d'un talent et d'une force expressive exceptionnelles. Mais bien entendu la performance théâtrale est ici fondamentalement liée à la richesse d'une expérience humaine.

The Cage est une sorte de plaque photographique qui révèle dans un condensé le climat et la réalité de la vie dans une prison américaine (qui n'est d'ailleurs pas fondamentalement différente de la vie dans toute autre prison). Photographie, mais pas simplement document, car les qualités spécifiquement dramatiques de la pièce sont évidentes.

L'action est d'une grande simplicité. Un nouveau prisonnier, tout jeune, est enfermé dans une cellule déjà occupée par trois autres détenus. Il y deviendra immédiatement objet de convoitise sexuelle et sera sollicité brutalement ou de manière insidieuse. Parce qu'il refusera de se plier franchement à la règle, il sera finalement privé de protecteur et tué par un des prisonniers au cours d'une crise de démence.

C'est ce prisonnier sujet à des phases de folie qui introduit dans la pièce une dimension purement théâtrale. En effet, lorsqu'il se prend pour Dieu, un général ou un juge, ses co-détenus consentent, parfois pour des motifs intéressés, à entrer dans son jeu et nous avons dès lors affaire à une forme de théâtre dans le théâtre. Loin d'être gratuite, cette fiction me paraît au contraire extrêmement significative. Elle nous révèle comment la théâtralité peut faire partie intégrante précisément de cet univers concentrationnaire. Le théâtre ici n'est plus objet de consommation, mais apparaît fondamentalement relié aux couches profondes de l'esprit humain. Autrement dit, nous assistons en somme à un retour aux sources les moins visibles du théâtre.

L'oeuvre est d'une grande densité, d'une grande économie. Elle décrit la violence et les pratiques homosexuelles, mais sans la moindre complaisance. Je dirais au contraire avec une pudeur constante qui devrait faire prendre de la graine à certains de nos metteurs en scène contemporains contestataires et cogitants. C'est un fait qu'un spectacle comme the Cage, par son authenticité, relègue soudain dans le tiroir aux amusettes insignifiantes — et quand on dit amusettes... — certaines expériences avant-gardistes et gauchisantes qui se prennent au sérieux.

Le spectacle se prolonge par un débat qui est tout aussi passionnant que la représentation. Car les questions des spectateurs indiquent qu'ils ont été touchés de plein fouet tandis que les éléments de réponse fournis par les interprètes du San Quentin Drama Workshop révèlent le sérieux et la profondeur d'une réflexion issue d'une expérience fondamentale de la souffrance. On peut croire ces anciens détenus lorsqu'ils démontrent la nocivité et l'inutilité d'une certaine forme de répression. Bien entendu ils ne présentent pas de solutions miracles à des problèmes d'une infinie complexité, mais ils ont le mérite de poser justement les problèmes et d'inviter à une prise de conscience collective.

Jean LEIRENS

Auteur Jean Leirens

Publication Le Phare Dimanche

Performance(s) The Cage

Date(s) du 1972-11-29 au 1972-12-03

Artiste(s) San Quentin Drama Workshop

Compagnie / Organisation