Archives du Théâtre 140


Le retour de Rufus



Le Libraire

?-?-1973

THEATRE

Le retour de Rufus

Il y a les spectacles que l'on aime bien et puis ceux qui vous marquent profondément, physiquement. Ceux-ci se comptent sur les doigts d'une main. Personnellement, je vous citerais le Living Theater, le Bread and Puppet, la Mama de New York... et Rufus. Compagnon d'aventures théâtrales super-pas-possibles, Rufus quitte Brigitte Fontaine et Jacques Higelin après avoir conçu et réalisé avec eux „Maman j'ai peur" et „Les enfants sont tous fous". Il se retrouve seul. Cela le stimule. Il emprunte les chemins du cinéma et du théâtre. A la recherche de l'âme sœur, de l'être suprême.

Sans gêne aucune, Rufus pratique le strip-tease mental intégral. Il va jusqu'au bout. Il remue les spectateurs. Ceux-ci rient. On rit pour de multiples raisons. Par gêne, parfois. L'air vacille et les masques tombent. On frôle le psycho-drame. Rufus ne porte pas de grosses lunettes de toubib. A son actif : une nature, un cheveu sous la langue, un monologue diablement élaboré et une présence scénique incroyable.

„300 dernières", un texte qui lui permet d'affronter le public pendant une heure et demie, peut être considéré à l'heure actuelle comme son œuvre plénière. Entièrement conçue, montée et jouée par ce comédien qui n'a pas encore atteint le cap de la trentaine, cette pièce pour un clown sans maquillage décrit la démarche fondamentale d'un être traqué qui pourchasse l'absolu inaccessible. „Je me sens plus profondément clown ou farceur qu'angoissé, confie-t-il. Je préfère sourire que passer aux aveux. Le rire, c'est une façon courtoise d'être désespéré... "

Inquiet, Rufus cherche. Il veut combler son manque. La découverte de la femme rêvée n'anihile pas son insatisfaction. Seule, une réalité plus complexe qu'il entrevoit quelques instants avant le tomber du rideau le calme. „A la fin du monologue, je rencontre un personnage mystérieux, le Grand Machin : lorsque je l'interroge sur son identité, il me répond par une boutade : „Je suis qui je suis, un point c'est tout". "l'homme en quête pénètre dans le tragique : il perçoit „quelque chose" qu'il n'a pas le pouvoir de nommer, avec lequel il doit se débrouiller en toute solitude. Rufus pose l'énigme fondamentale par l'intermédiaire du rire. Raymond Devos avait réussi pareille gageure, voilà quelques années. Aujourd'hui, Rufus le surclasse.

Rufus a déjà présenté „300 dernières" au théâtre 140. Le public met souvent plusieurs mois pour prendre conscience d'un événement. Il bouda quelque peu. Ceux qui découvrirent le spectacle furent foudroyés. La critique cria parfois au miracle. Rufus retourna en France. Son rôle de second plan dans le film „Un condé" fut remarqué. Le cinéma l'apprivoise. On le retrouve notamment dans „Les Camisards". Bobino reprogramma "300dernières". Ce fut la folie. Le texte intégral du monologue fut publié aux Editions Denoël.

Rufus revient au théâtre 140, pour deux soirées seulement. Les 8 et 9 mars, à vingt heures trente. „Si j'étais vous", je réserverais...

Auteur

Publication Le Libraire

Performance(s) Les 300 Dernières

Date(s) du 1973-03-08 au 1973-03-09

Artiste(s) Rufus

Compagnie / Organisation