Archives du Théâtre 140

Le Soir

6-10-1973

AU THEATRE 140

Hé! Hé! Hé! Waar is de marechaussee?

Han Bennink a de l'imagination à revendre. Il n'est peut-être pas superflu de rappeler qu'il a promené sa batterie aux quatre coins de l'Europe. Certains roulent leur bosse. Han fait rouler ses baguettes avec une maestria incomparable, bombarde les caisses, titille les clochettes. Entre ses mains, une scie frémit sous les caresses d'un archet, un arrosoir accroché à un tuyau en platique miaule comme un lasso des pampas ou gémit comme un cor au fond des bois. C'est selon.

Willem Breuker, son compagnon, quand il joue du piano, et il n'en joue qu'avec parcimonie, c'est pour se livrer à une succession de parodies où l'on peut reconnaître Oscar Peterson, Bill Evans, Thelonious Monk dans le désordre.

« Hé, hé, waar is de marechaussee? » qu'a programmé le Théâtre 140 depuis jeudi soir ne serait donc qu'une extravagance supplémentaire de Bennink si ne venait s'y greffer un sketch qui sert de contrepoint visuel aux envolées lyriques du gargantuesque batteur. Sketch qui n'a évidemment aucune logique mais qui permet néanmoins à Breuker de chercher ses chaussettes rouges dans des toilettes et de dialoguer par le biais d'un écran avec une poupée allongée sur un sofa. Tout ceci dans un mélange parfois savoureux de français made in Amsterdam qui culmine sur la phrase « Hé, hé, hé, où sont les policiers? »

On peut lire dans le programme le mot « détérioré ». Nul autre mot ne caractérise mieux ce spectacle-concert où la dérision elle-même se conjugue « à la petite semaine ». Du free jazz pour catherinettes signe Misha Mengelberg.

En seconde partie, c'est pis. Huit musiciens, dont quatre cuivres et une contrebasse s'échinent, avec une truculence peu communicative, à recréer à force d'arrangements torturés et de saynètes de patronnage, la ferveur des big band américains. Peine perdue. Un tel déploiement d'énergie pour si peu ne peut que nous plonger dans le désarroi de la résignation. Les voix du free jazz sont décidément impénétrables.

André DROSSART.