Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140, 'Camille' par le 'Ridiculous Theatrical' de New-York. L'univers d'Alexandre Dumas fils dans un rococo des plus réussis



Le Soir

17-10-1973

L'actuel « Ridiculous » de New York, conduit de main de maître par Charles Ludlam sur les planches du Théâtre 140 dont on a pour l'occasion modifié le rideau rouge, n'a que de lointains rapports avec le Ridiculous qui voici deux ans fit s'émouvoir nos censeurs et valut à la Belgique, et à Bruxelles en particulier, la douce étiquette de « fossile » en terres étrangères.

« Camille » qu'on joue — au sens littéral du mot — depuis lundi soir, n'a rien en effet des extravagances cruelles de « Cockstrong » ni d' « Amber Orbit ». « La Dame aux camélias », l'œuvre chère à Alexandre Dumas y est traitée avec une désinvolture maîtrisée par Charles Ludlam et sa troupe. Comme elle le mérite en fait, à grandes injections de mélodrame, caricaturée dans son imagerie populaire et superbement croquée dans son scénario comme dans ses comportements d'héroïne à la santé chancelante.

C'est Eugène Scribe revu par Honoré Daumier dans un décor digne de Las Vegas. Camille, c'est évidemment Charles Dudlam qui ferait baver d'envie Sarah Bernhardt soi-même si l'interprétation du maître, forcée mais d'une rigueur quasi algrébrique dans la dérision, n'aiguillait la pièce vers les horizons de l'absurde et parfois même de la franche rigolade.

Triomphe du trompe-l'œil, théâtre théâtralisé dont les ingrédients paraissent si vrais et si spectaculaires qu'ils en deviennent eux-mêmes autocritiques et, partant, résolument romantiques et destructeurs.

Tous les stéréotypes de l'aristocratie de l'époque sont ainsi « flashés » en une succession de tableaux d'une drôlerie irrésistible que domine, avec ses camélias, ses langueurs, ses clochettes, ses éventails et ses quintes de toux, Charles Ludlam, une Camille plus vraie que nature. Mais la nature a parfois des coquetteries.

Exceptionnel récital à la vérité de cette diva new-yorkaise qui a su merveilleusement décortiquer les flamboyants excès de l'époque d'Alexandre Dumas pour les transfigurer sur scène avec une superbe, une aisance, un sens de la théâtralisation qui devrait réjouir à la fois les inconditionnels du théâtre de papa et les jeunes loups de l'avant-garde. Même si Charles Ludlam voue l'avant-garde à la géhenne, c'est tout son art, ou sa stratégie, pour s'imprégner d'une époque fastueuse et souvent débile fin de la restituer légèrement « abîmée ». Suivez mon regard.

On citera aussi John Brockmeyer qui semble s'être échappé d'un match livré par les Harlem Globe Trotters pour jouer les amoureux transis en « pingouin » et gants blancs.

On citera encore Black Eyed Susan dans le rôle de Sybille, mais tous les autres comédiens, dans les rôles d'Armand Duval, de Prudence, de Joseph, etc., sont eux aussi dignes des gravures d'époque, habillés qu'ils sont, avec un sens de la « poussière historique » par Mary Brecht, aussi distancées par rapport à ses fils, ses aiguilles et ses perruques, que l'est Charles Ludlam par rapport aux doux yeux de Marguerite Gautier. Ah! Camille revue par Charles...

André DROSSART.

Pour apprécier cette création américaine au Théâtre 140, mieux vaut manier correctement la langue anglaise. « Camille » est joué mardi, mercredi et jeudi à 21 h 30. Quant à « Bluebeard », il sera programmé par le « Ridiculous Theatrical » à partir de vendredi à 21 h 30. C'est un changement de programme intervenu en dernière minute.

Auteur André Drossart

Publication Le Soir

Performance(s) "Bluebeard; Camille"

Date(s) du 1973-10-15 au 1973-10-21

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Ridiculous Theatrical Company