Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140, 'Bluebeard' par le Ridiculous Theatre Company



La Libre Belgique

AU THEATRE 140

Bluebeard

par le Ridiculous Theatre Company

Le Ridiculous Theatre Company a clôturé dimanche sa semaine de représentations à Bruxelles avec « Bluebeard » (Barbe-Bleu), que Charles Dudlam a créé, il y a quatre ans, à New York, et qui succédait sur les planches du Théâtre 140 à « Camille » (La Dame aux Camélias).

Ce théâtre du ridicule naquit à New York vers 1965, mais on voit bien avec le décalage du temps qu'il est une des sources et une des expressions d'une certaine forme de théâtre actuelle : le théâtre baroque, sophistiqué, par lequel le jeu dramatique est à la recherche de sa spécifité, se contemple comme dans un miroir, exaspère son essence dans un mélange d'outrance et de distanciation, multiplie la référence et la parodie. La parodie, dit le dictionnaire, est une imitation burlesque, une contrefaçon grotesque : il est le verre grossissant où le geste se démultiplie, où le verbe se boursoufle, où le théâtre atteint son paroxysme, c'est-à-dire les limites de son essence, ce par quoi et pour quoi il est différent. Le théâtre : un mensonge qui dit la vérité, l'homme qui projette son double pour se regarder. On ne se voit jamais si bien que caricaturé : le théâtre, renonçant à la littérature mais non pas aux mots, à l'imitation réaliste mais non pas à la récréation de la réalité dans sa catégorie propre qui est le travestissement, se donne finalement ses Goya et ses Daumier.

Sous des formes diverses, on retrouve l'influence, la préoccupation de ce « ridiculous theatrical » dans les pièces de Copi, dans « Capitaine Schelle, Capitaine Eçço », de Rezvani, tel que l'ont montée Vincent et Jourdheuil, dans la « Salomé » de Wernher Schroeter au Schauspielhaus de Bochum, dans le « Pericles » donné par Frank Dunlop au théâtre National. Pour ne citer que quelques exemples. Ce théâtre qui se regarde faire pourrait être considéré, par ailleurs, comme une nouvelle version de la « distanciation » brechtienne, qui refusait toute participation du spectateur, le maintenant à distance du personnage pour éviter qu'il s'identifie à lui. Une distanciation qui s'est créé une nouvelle méthode que Schroeter définit ainsi : « celle dans laquelle l'interprète cherche à conduire les sentiments jusqu'aux plus lointaines frontières de l'expression, sans les laisser s'estomper dans des mondes psychologiques intermédiaires (par des différenciations truquées) et à réduire le comportement humain aux plus simples et aux plus vraies formes de la communication : action — création — sympathie (affection) — aversion ». On pourrait disserter longuement sur tout cela.

Le point de départ de la pièce de Dudlam est le cinéma fantastique avec ses horreurs, ses excès, ses crimes sanglants, ses mutilations démoniaques, ses Dracula et ses vampires, ses châteaux nocturnes et ses accents allemand ou russe — et par-delà ce fantastique, toute la veine des « movies » que les Américains opposent à « films », avec leur « mélange de tradition hollywoodienne, de star system, de jeu appuyé, de sexe à la Mae West, de décors et de mythes ». Tout cela est ici reconstitué devant des toiles peintes, dans sa vulgarité populaire, avec un raffinement théâtral, juste, nuancé, vertigineux. L'accumulation de ces conventions reconstruit le musée mélodramatique des Horreurs sur le Boulevard du Crime. « Et je ne pus pas rire avec le Démon. Et il me maudit parce que je ne pouvais pas rire » (Edgar Poe)

J.F.

Auteur J.F.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) "Bluebeard; Camille"

Date(s) du 1973-10-15 au 1973-10-21

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Ridiculous Theatrical Company