Archives du Théâtre 140


Une 'Dame aux camélias' fignolée jusqu'à la caricature



Métropole Journal d'Europe

29-10-1973

Une « Dame aux camélias » fignolée jusqu'à la caricature.

« Camille », par le « Ridiculous Theatrical » de Charles Ludlam. Au Théâtre 14O, du 19 au 21 octobre, à 21 h 30.

Chacun connait l'histoire de la Dame aux Camélias. Femme aux mœurs légères, par un adroit dosage de charme et de quintes de toux, elle déliait la bourse des plus fortunés et remboursait ses dettes.

Dumas s'en inspira, mais l'avait faite émouvante, pathétique. Le « Ridiculous theatrical » de New York la montre toute autre.

Si les spectateurs sortent leur mouchoir, ce n'est pas pour essuyer une larme furtive, c'est pour étouffer un accès d'hilarité. Point de pathos, d'un bout à l'autre de la pièce, on est secoué par le rire.

Trois actes, inégaux en qualité. Au premier acte, celui du dîner d'anniversaire de Camille, le rideau se lève sur un décor très fignolé, depuis le lustre scintillant, en passant par le buffet chargé de fruits, le piano à queue — qui n'a pas encore été payé — et le boudoir de la dame. Tout a été méticuleusement choisi et disposé.

Mais dans ce décor précieux, les bonnes manières n'ont plus cours. Prudence s'esclaffe en relevant sa jupe jusqu'aux cuisses, Camille s'écroule sur la table, la vaisselle se brise... Impassible, Armand déclare sa flamme à la belle qui l'éconduit.

Ridiculisant leurs sentiments par des gestes excessifs, les personnages semblent sortis tout droit d'une caricature de la fin du siècle dernier. Comble du grotesque, Camille est jouée par un homme, Charles Ludlam en personne.

Au premier acte, le procédé fait rire à gorge déployée. Au second et troisième actes, même technique, avec toutefois une multiplication des gags. On s'amuse comme on s'amusait enfant devant les farces des clowns au cirque. Mais ici, point d'improvisation. Tout est réglé, jusqu'au moindre détail. Camille met dix sucres et non onze dans sa tisane. Avec une facilité déconcertante, et un art évident, elle (il) passe d'un rôle à l'autre. En coquette attendrissante, en homme d'affaire aux abois, en amoureuse se sacrifiant pour le bonheur de son amant... elle reste toujours aussi convaincante.

Pour la dernière fois, le rideau se lève.

Camille alanguie, étendue sur un divan se meurt doucement. Surgit Armand. Il sait tout. Son père lui a révélé la vérité. Il l'aime. Il veut l'épouser. Elle meurt dans ses bras.

Cette fin dramatique, le « Ridiculous theatrical » la refuse. Par une mise en scène extrêmement précise, qui fige les acteurs dans des attitudes caricaturées, il rend délibérément le pathétique grotesque, et fait de la mort même de Camille une farce bouffonne.

Les mimiques des acteurs sont si expressives, qu'une connaissance très rudimentaire de l'anglais suffit amplement. Bien que les second et troisième actes ne soient qu'une répétition améliorée et plus intelligible du premier, la pièce reste drôle jusqu'au bout. On y assiste avec un plaisir indéniable.

Violaine MUULS.

Auteur Violaine Muuls

Publication Journal d'Europe

Performance(s) "Bluebeard; Camille"

Date(s) du 1973-10-15 au 1973-10-21

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Ridiculous Theatrical Company