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A Bruxelles, après Tournai et Louvain, Le Grand Magic Circus 'De Moïse à Mao'



La Libre Belgique

14-12-1973

A Bruxelles, après Tournai et Louvain

LE GRAND MAGIC CIRCUS

« De Moïse à Mao »

Le Grand Magic Circus promène en une brève tournée en Belgique son dernier spectacle « De Moïse à Mao », à l'initiative conjointe d'Armand Delcampe (Atelier théâtral de Louvain) et Jo Dekmine (futures Halles de Schaerbeek). Et c'est bien une compagnie qu'on va voir, plus encore qu'un spectacle — comme on va au Cirque sans trop savoir à l'avance si ce sont les lions ou les trapézistes qui offriront le plus beau numéro : simplement parce que c'est le cirque, et qu'on en aime la lumière musicale et l'odeur animale.

« De Moïse à Mao » est le troisième volet d'une trilogie, explique Jérôme Savary, clown et Monsieur Loyal tout à la fois de son spectacle. Zartan, le frère mal aimé de Tarzan, constatait la fin de la suprématie de l'homme occidental dans le monde : c'était en 1970. Deux ans plus tard, Les derniers jours de solitude de Robinson Crusoé traitait de « la solitude et du désarroi de l'homme occidental dans son propre univers ». Aujourd'hui, De Moïse à Mao, créé début novembre au Théâtre National de Strasbourg, dresse « le bilan dérisoire, burlesque, et, dans le fond, douloureux » de l'histoire de l'homme des origines à nos jours.

Une petite troupe de music-hall austro-parisienne se trouve bloquée au début de ce siècle aux confins du désert du Nevada. Elle va dérouler sous nos yeux la bande dessinée de cinq mille ans d'histoire dans un désordre fou-fou, contemplés avec les yeux innocents d'enfants qui n'ont retenu de ce qu'on leur a appris en classe que des vignettes d'Epinal : défilent ainsi David et Goliath, Louis XIV et Molière, Napoléon et Joséphine, Sade et Jeanne-d'Arc, César et Jésus dans une confusion joyeuse, une satire impertinente, un jeu de massacre dont la « fête », en fin de compte, laisse dans la bouche un goût d'amertume et de scepticisme. Démysthification? On veut bien, mais l'entreprise est un peu vaine, l'homme se nourrissant de mythes comme de pain, et s'en fabriquant sitôt qu'on détruit celui qu'il possédait.

Cela dit, le spectacle est fait de rythme, d'invention, d'une folle astucieuse, d'outrances qui s'annihilent l'une l'autre, de simplifications de parade foraine, de caricatures puériles, d'un foisonnement trépidant de scènes et de mots. On se laisse emporter par ce fleuve qui charrie, dit-on, une contre-culture. Et tout cela enrobé dans un feu d'artifice joyeux et délirant qui, comme le délire et la joie des clowns, laisse percer un fond de tristesse. L'histoire du monde est-il vraiment cet universel échec, et nous trouvons-nous devant un désert à traverser, seul ou en groupe?

La qualité du spectacle réside dans cette constante éruption de couleurs, de sons, de grimaces, d'attitudes, de répliques, de costumes, de maquillage, de toiles peintes qu'on enroule et qu'on déroule, de silhouettes qui apparaissent et disparaissent aux quatre coins du chapiteau, de chansonnettes et de pantomimes, de coups de pétard et de coup de théâtre. Tout cela avec une absence de prétention, de rhétorique, de « messages », qui est bien sympathique. Tout n'est pas réussi pour autant; il y a des moments gratuits, longuets, simplistes, dans ce feu de camp burlesque.

Le Grand Magic Circus se produira ces vendredi, samedi et dimanche à 21 h, à Schaerbeek, place Van Ysendyck, sous chapiteau chauffé. Le spectacle est déconseillé par ses organisateurs aux moins de 18 ans.

J.F.

Auteur J.F.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) De Moïse à Mao ou 5000 ans d'aventure et d'amour

Date(s) du 1973-12-14 au 1973-12-16

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Le Grand Magic Circus et ses animaux tristes