Archives du Théâtre 140


Tout ce que vous voudriez connaître sur l'histoire et que vous n'avez jamais osé imaginer



Journal d'Europe

18-12-1973

Tout ce que vous voudriez connaître sur l'histoire et que vous n'avez jamais osé imaginer

Une de ces affreuses sorcières, empruntée à Macbeth, ouvre sur la scène un livre gigantesque. En surgissant, les Viena's Folies, en bustier et jarretelles noires, comme il sied aux vedettes 1900 du Music Hall...

Le sortilège est de taille.

Les applaudissements crépitent. D'autant plus chaleureux que, sous le chapiteau, la demi-heure de « mise en condition » a rendu le public impatient.

Un public jeune, composé essentiellement d'étudiants, agglomérés les uns aux autres sur des bancs inconfortables.

Mais ils s'en formalisent peu. Le Grand Magic Circus de Savary, amené à Louvain par le Centre d'érudes théâtrales, c'est un événement. Nul n'a voulu le rater.

Après la popularité incontestable de Tarzan en 1970 et Robinson Crusoé en

1972, miser sur le succès du dernier volet de la trilogie n'apparaît pas très téméraire. Et pourtant? …

Une méthode

Le projet est ambitieux. Peut-être trop. Cinq mille ans d'aventures et d'amour de Moïse à Mao.

Les conteurs? Une petite troupe de music-hall, coincée aux abords du désert du Névada, et qui fonde tous ses espoirs dans des secours hypothétiques de la reine Victoria. En attendant, que peuvent-ils faire? Se raconter des histoires, ou mieux, nous chanter l'Histoire.

De raccourcis saisissants en enchaînements prévisibles, ils nous content une histoire bien bouffonne, vue par le petit bout de la lorgnette, avec ses tics et ses travers, ses héros rapetissés et ses modèles ridiculisés.

C'est l'Histoire descendue du piédestal que des générations d'hommes sérieux lui ont érigé. Les pages inversées, les personnages découpés, puis grossièrement recoloriés, les maquillages excessifs, les costumes approximatifs. Pour ce qui est du kitsch, brillant, bariolé et de mauvais goût, cette création atteint la même perfection que le Bluebeard du Ridiculous Theatrical de New York.

Et le même défaut aussi. L'ambiance naît et meurt comme un feu de paille. A l'étonnement ravi du début succède une longue lassitude amorphe, et finalement même une grande déception. Mais le spectacle de Ludlam était savamment construit et fignolé, celui de Savary est composé au hasard, et vogue au gré de la fantaisie des comédiens.

L'acoustique est mauvaise, la plupart des chansons inaudibles. On rit épisodiquement, on s'ennuie fréquemment.

Curieux résultat

Pourtant il y a des scènes truculentes, où, mélangés allègrement, sans souci chronologique, grands et petits en prennent pour leur grade.

La lutte du géant Goliath et du David bondissant, le vaincu découpé en morceaux, et offert, sur un plateau, à la gourmandise d'un consul romain; la pure Jeanne d'Arc se consumant sur un bûcher de feux de Bengale le 14 juillet; l'innocente sainte Bernadette découvrant les plaisirs de l'amour avec un bossu, sonneur de cloches; Jésus-Christ dansant le jerk sur la croix; Chopin scalpé par le dernier des Mohicans; Molière en torchant le Roi-Soleil, fait durement l'expérience des inconvénients d'être un courtisan.

La grosse farce

Face à la guillotine, les grands perdent leur morgue, Louis XVI se fait passer pour un sans-culotte. Jules César pour un esclave et Jésus-Christ pour un modeste curé de campagne. Napoléon nabot chante sa flamme à Joséphine, puis, devenu Bonaparte, abreuve l'oncle de Victor Hugo qui se mourrait de soif sur un champ de bataille; Hitler, nain lui aussi, hurle « Mein Kampf » au son de la Walkyrie; le portrait de Mao apparaît face au tableau désolé d'un monde vampirisé, et grignoté par un champignon trop connu...

Remettre en question l'histoire, porter un coup violent au chauvinisme et aux partis pris de toutes sortes, mais surtout montrer le ridicule de ces interprétations historiques qui camouflent les vaincus en héros, les défaites en victoires, les massacres injustifiés en opérations de survie, c'étaient les intentions de Savary... dans le programme.

Sur la scène, le spectacle n'a pas dépassé le niveau de la grosse farce.

Violaine MUULS.

Auteur Violaine Muuls

Publication Journal d'Europe

Performance(s) De Moïse à Mao ou 5000 ans d'aventure et d'amour

Date(s) du 1973-12-14 au 1973-12-16

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Le Grand Magic Circus et ses animaux tristes