Archives du Théâtre 140


Courez donc voir cette facétieuse 'Vie de Molière'!



Le Soir

7-2-1974

Au Théâtre 140

Courez donc voir cette facétieuse « Vie de Molière »!

Quelle jeunesse, quelle fraîcheur d'inspiration, quelle gaieté spontanée et quelle profondeur aussi — sous des allures gamines! — dans ce merveilleux spectacle conçu et réalisé « en collectif » par le théâtre de la Salamandre, du Havre, et qui fut une des grandes révélations du dernier Festival d'Avignon!

On est heureux d'un bout à l'autre de la soirée, on n'arrête pas d'être étonné par les cascades de trouvailles comiques des huit auteurs-metteurs en scène-interprètes-présentateurs-commentateurs, on a l'extraordinaire impression de découvrir Molière tel qu'il serait aujourd'hui s'il ressuscitait par magie, s'il recommençait son illustre carrière et s'il revivait ses difficultés de jadis, ses premiers succès, ses déboires conjugaux, ses humiliations et ses gloires parfois chèrement payées, ses luttes contre les hypocrites, les réactionnaires, les cagots, des luttes qui sont éternelles et sans victoire définitive.

Car, curieusement, ce Molière-là, vu à travers l'imagination éclatante de fantaisie des comédiens du Havre, est étrangement proche de nous et familier. Si vous avez l'habitude de fuir quand vous entendez les mots « auteur classique », découvrez ce spectacle-ci : il y a toutes les chances pour que vous revisiez votre comportement!

Est-il encore nécessaire de souligner qu'en dépit de son titre scolaire, cette « Vie de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière » n'a absolument rien de... scolaire? Ici, point de décors majestueux et pseudo-historiques : tout juste des tréteaux de foire, avec des montants de bois et des tentures claires que l'on tire. Point de précieux vêtements d'époque, de perruques savamment bouclées, de rubans et de dentelles : des chemises bien banales et des pantalons du même acabit. Et aussi des visages fardés de blanc et de noir. Comme des masques mobiles. Car, tout nous fait songer à une commedia dell'arte à la française, avec un esprit bien particulier, avec une façon légère de se moquer de soi, avec une satire de l'improvisation « bien de chez nous » et une démonstration fort convaincante de la valeur du « système D ».

Tout cela pour nous montrer le Molière le moins conventionnel et le moins livresque qui soit. Un Molière volontiers contestataire à sa manière, libertin, partisan des sciences (sauf de la science médicale!), d'abord exécrable tragédien de fortune, puis comédien de génie, excédé par les louanges décommandé qu'il doit écrire pour Louis XIV, son bienfaiteur et tyran, bon copain de Gassendi, Chapelle, Boileau, La Fontaine, qu'il empêche parfois de se suicider en commun les soirs où ils ont trop bu!

Mais, s'il y a le miracle de la conception collective de cette « Vie de Molière » pas comme les autres, il y a aussi le miracle de l'interprétation. Les huit comédiens havrais, professionnels accomplis, jouant un florilège de rôles interchangeables dans des registres et sur les tons les plus variés. Avec des tas de gags très ingénieux, légers, rapides, allusifs, piquants. Le programme mentionne leurs noms pèle-mêle. Mais on sait que c'est Pierre Agazar qui tient, durant une grande partie de la soirée, le rôle de Molière avec une autorité intelligente et une humanité qui commandent l'admiration.

Les formules toutes faites ont parfois du bon. Celle qui dit : « Spectacle à ne pas manquer » est en tout cas parfaitement justifiée en l'occurrence.

André PARIS.

Auteur André Paris

Publication Le Soir

Performance(s) La vie de Jean Baptiste Poquelin dit Molière

Date(s) du 1974-02-05 au 1974-02-09

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Théâtre de la Salamandre