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La vie de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière par le Théâtre de la Salamandre



La Libre Belgique

7-2-1974

La vie de Jean-Baptiste

dit Molière

par le Théâtre de la Salamandre

AUTEUR ET MISE EN SCENE : travail collectif des comédiens du Théâtre de la Salamandre.

DISTRIBUTION : Jean-Pierre Agazar, Pierre Ascaride, Gildas Bourdet, Sylvie Fennec, André Fouche, André Guittier, Marief Guittier, Marc Normant, Joël Pitte, Mireille Rivat.

Le bon théâtre, cela existe encore! Quelle joie de l'avoir ressenti un soir, de pouvoir le dire, le répéter! Après avoir triomphé au festival d'Avignon, le Théâtre de la Salamandre (du Havre) a fait un malheur, mardi soir, au Théâtre 140 (où il joue jusqu'au 9 février). Quand le succès vient à la rescousse d'unie œuvre de qualité, le critique est ravi.

Après Avignon, l'un d'entre nous a dit les mérites de ce théâtre à l'état pur : avec humilité, une jeune compagnie raconte « la vie de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière » dans un style populaire, imagé, direct. Style populaire, mais que l'on ne s'y méprenne pas : ce n'est pas un véritable spectacle populaire. Ce travail collectif, mais cohérent, fait au départ du « Roman de Monsieur de Molière » de Boulgakov et de nombreux documents d'époque (Grimarest, Lagrande, etc.), suppose une bonne connaissance de la vie de Molière, de ses déboires conjugaux, de ses démêlés avec la Cour. Mais tout cela sur un ton détendu, intelligent et drôle à la fois, avec des comédiens au visage enfariné qui sont tour à tour le père Poquelin, Molière, Boileau et Louis XIV. On songe à la Comedia dell'Arte, à du Brecht écrit pour le cirque, aux « Trois Mousquetaires » de Planchon, aux « Bread and Puppets », à « Mistero Buffo », aux spectacles d'Ariane Mnouchkine, certainement pas aux montages scolaires sur la vie de Molière.

Il y a d'ailleurs une part de démystification dans ces scènes, brèves et drues, où l'on imagine le père Poquelin forçant son fils à faire des études alors que celui-ci veut devenir tapissier, où l'on voit Molière, exécrable tragédien dans « Nicomède », mais faisant rire aux éclaits Louis XIV en s'écrasant sur le nez une tarte à la crème. Ou encore La Grange faisant ses comptes après « les Précieuses ridicules », les cloportes de la « Confrérie du Saint-Sacrement » parlant comme le ministre Druon, Molière comptant sur les doigts les alexandrins du « Misanthrope » ou chantant le grand air de « Paillasse » pendant que Lulli joue du Beethoven au piano pour Armande Béjart, les intellectuels du temps (Boileau, Chapelle, La Fontaine) découvrant que le Roi est réactionnaire parce qu'il réduit le montant de leur pension. Avec un très beau dénouement, qui évite la facilité de la mort en scène, mais qui insiste sur l'héritage matériel et culturel de Molière.

Tout n'est pas de la même veine dans ce divertissement légèrement gauchiste, qui bouscule les idées reçues sur Molière, mais lui témoigne une grande tendresse. L'ensemble cependant est intelligemment fait et merveilleusement rodé, avec une grande simplicité de moyens et des clins d'oeil au public. On rit beaucoup à ce spectacle et on en sort heureux. Que souhaiter de plus?

J.H.

Auteur J.H.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) La vie de Jean Baptiste Poquelin dit Molière

Date(s) du 1974-02-05 au 1974-02-09

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Théâtre de la Salamandre