Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140, 'J'ai confiance en la justice de mon pays', par le Théâtre Bulle



La Cité

20-3-1974

Au Théâtre 140

« J'AI CONFIANCE EN LA JUSTICE DE MON PAYS »,

D'ALAIN SCOFF par le Théâtre Bulle

Le théâtre militant, le théâtre engagé, le théâtre guérilla — quel que soit le nom qu'on lui donne — est trop souvent un théâtre ennuyeux qui ne s'adresse qu'aux convertis, qui vise le public ouvrier et n'atteint que l'intelligentsia » de gauche.

Avec le Théâtre Bulle et ce spectacle intitulé « J'ai confiance dans la justice de mon pays », il en va tout autrement même si certains aspects de cette réalisation inspirent quelques réserves.

Ecrit et réalisé par Alain Scoff, ce spectacle est fondé sur un matériau véridique : la mort de Jean-Pierre Thévenin, ouvrier soudeur de vingt-quatre ans au commissariat de police de Chambéry en 1968. L'arrêt définitif de la Cour de cassation en février 1973 a clos cette « affaire » sur le plan strictement juridique, mais les circonstances plus que suspectes de cette mort n'en ont pas été pour autant élucidées. Le jeune ouvrier, arrêté avec un de ses compagnons à la suite d'une bagarre dans un café, a-t-il été victime des brutalités policières, brutalités ayant entraîné le décès de la victime? On n'a pu le prouver, mais l'on sait qu'en l'occurrence il arrive trop souvent qu'une certaine justice couvre les « bavures » de la police. La version officielle selon laquelle la victime se serait suicidée dans une cellule du commissariat apparaît peu vraisemblable, c'est le moins qu'on puisse dire.

A partir de ce « cas » Alain Scoff et son équipe (Rachel Salik, Catherine Kournet, Sophie Clamagirand, J.P. Bagot, J.L. Bourrei, P. Charras, Germinal, R. Magdane, R. Terrade, C. Naville auquel se joint Alain Scoff lui-même) ont réalisé un pamphlet où la virulence le dispute à la drôlerie. Le comique ici n'a rien de choquant, car il est l'élément moteur du spectacle, il favorise la prise de conscience du spectateur, il donne à la représentation l'impact nécessaire faute duquel tant de pièces engagées sombrent dans le théâtre de patronage.

Certes, la note caricaturale est parfois trop forte. En faisant du juge la marionnette du pouvoir, en dépeignant la réalité sous un aspect purement manichéiste, c'est-à-dire sans le moindre souci des nuances, Alain Scoff diminue et affaiblit la portée, la crédibilité de son pamphlet. Mais cette réserve formulée, il reste que le ton du spectacle et sa réalisation à tous les niveaux de la représentation constituent une évidente réussite. On sort de là après avoir beaucoup ri, mais ce rire se mêle à l'indignation, et le Théâtre Bulle oblige le spectateur à prendre conscience de la fragilité de la justice même dans des sociétés démocratiques comme la nôtre où existe la séparation des pouvoirs. Il y a dans une entreprise de la sorte beaucoup d'enthousiasme, de sensibilité et d'intelligence. Voilà une forme de théâtre politique qui, en gros, ne peut que susciter l'approbation.

J.L.

Auteur J.L.

Publication La Cité

Performance(s) J'ai confiance en la justice de mon pays

Date(s) du 1974-03-18 au 1974-03-23

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Théâtre Bulle