Archives du Théâtre 140


'J'ai confiance en la justice de mon pays'



La Dernière Heure

21-3-1974

« J'ai confiance en la justice de mon pays »

Le 15 décembre 1968, un jeune ouvrier soudeur est emmené au commissariat de police de Chambéry en compagnie d'un copain, parce qu'ils causaient du scandale dans un café de l'endroit. Entré au commissariat à 18 heures, il en ressortit à 22 h. 30 à destination de l'hôpital. Mort.

Les causes du décès? Officiellement on dit qu'il s'est pendu à la lucarne d'aération de sa cellule. Ou encore qu'il a succombé à une crise d'éthylisme. Mais l'hôpital commence par refuser le permis d'inhumer et sa mère, sachant que son fils ne buvait pas d'alcool, dépose plainte... d'autant plus que des marques suspectes auraient été trouvées sur le corps de son fils. Elle veut savoir la vérité.. Ne l'a-t-on pas battu à mort avant de simuler un suicide?

Pendant quatre ans, cette femme de ménage, seule d'abord, puis soutenue par la Ligue des droits de l'homme et diverses organisations gauchistes, va poursuivre l'action judiciaire : un non-lieu, puis un deuxième en appel, un renvoi de la Cour de cassation, un troisième non-lieu et enfin le non-lieu définitif de la chambre criminelle de la Cour de cassation : sauf fait nouveau, plus personne ne pourra être mis en cause dans la mort de ce jeune ouvrier.

La mère, pourtant, continue le combat car selon elle et ceux qui la soutiennent, il y a trop de morts inexpliquées dans les commissariats de police.

Voilà l'angoissant problème porté à la scène par Alain Scoff qui, avec son Théâtre Bulle, de Paris, a déjà joué « Bulles de savons, bons sentiments » et » Jésus-fric super-crak ».

L'auteur a choisi de nous présenter l'affaire comme la télévision nous invite à vivre un « dossier » qu'elle a reconstitué. Le dossier est bon. On eût aimé qu'il fût présenté avec des vues moins unilatérales. Que tous les « bons » ne soient pas nécessairement du même côté (il doit bien y avoir quelques brebis galeuses de ce côté aussi, que diable!) et que tous les « méchants » ne soient pas systématiquement de l'autre. On aurait voulu, par exemple, que l'on nous parle un peu de ce premier pourvoi en cassation qui fut accepté, au lieu de dire en substance : « Le temps nous presse. Un pourvoi en cassation fut pris en considération, mais la Cour d'appel reprenant l'affaire y répondit par un nouveau non-lieu ». Si le pourvoi fut accepté, c'est qu'il y avait tout de même de bonnes raisons d'agir ainsi. Formelles et autres.

Bien sûr, de tout temps, on a toujours mis les rieurs de son côté (et très astucieusement, grâce aux développements en forme d'émission de T.V., on rit beaucoup dans cette histoire tragique) en s'en prenant aux gendarmes. Mais ici le dossier parait trop bon, trop solide, pour qu'on compromette une partie de son impact incontestable par ce qui paraît être de la partialité. Dommage... On nous répondra que la conviction des protagonistes est faite. Nous voulons bien le croire. Encore faut-il enlever l'adhésion du public. De tout le public, si possible. Et, malheureusement certaines outrances amèneront toujours une partie de celui-ci à faire des réserves.

Ceci dit, sur le plan de la réalisation : chapeau. Excellemment mis au point, bénéficiant de couplets fort bien venus (et interprétés) — la musique est de Germinal — mis en scène sans la moindre faille et à un rythme ne tolérant pas le moindre temps mort, « J'ai confiance en la justice de mon pays » est joué à la perfection par une douzaine d'interprètes (dont l'auteur et notre compatriote Rachel Salik) qui se partagent tous les rôles et s'y montrent d'une totale efficacité.

R.P.

Auteur R.P.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) J'ai confiance en la justice de mon pays

Date(s) du 1974-03-18 au 1974-03-23

Artiste(s)

Compagnie / Organisation Théâtre Bulle