Archives du Théâtre 140


'Le prince travesti'



La Dernière Heure

23-2-1975

« Le prince travesti »

Il y a des moments où l'on est exaspéré par le faux intellectualisme qui imprègne la société culturelle d'aujourd'hui. Il est bien vrai, comme le disait récemment M. Jaumotte, président du conseil d'administration de l'U.L.B., qu'il existe des « diplômés idiots ».

Nous pensions à cela en lisant après le spectacle, les documentaires de confrères français appartenant à de grandes tribune de presse et qui s'extasiaient devant le fait que Daniel Mesguich, le metteur en scène responsable du « Prince travesti », parvient a démontrer que « le texte n'est désormais plus un objet immuable, doté d'une signification unique et d'une articulation fixe ».

Au départ d'une telle confusion, l'on peut ainsi imaginer « Mein Kampf » en allégorie de la démocratie, les Sermons, de Bossuet, comme un appel non déguisé au striptease et les œuvres de Karl Marx deviennent, dès lors, l'apologie du régime bourgeois le plus réactionnaire.

Il y a des plaisanteries qui ressemblent curieusement à des farces de carabins. Mais nos amis français n'ont jamais perdu ce goût de l'insolite qui, au temps de Montesquieu, leur faisait déjà demander ravis : « comment l'on pouvait être Persan? ».

Soyons francs : Daniel Mesguich est un illuminé, un messianique égaré dans les plates-bandes d'autrui. Il appartient à cette génération de metteurs en scène qui, n'étant pas capables d'écrire, se défoulent en pillant à leur profit les œuvres des autres et leur prouvent des projections psychiques qui ne rencontrent que par hasard la vérité historique, ce qui est suffisant pour leur bâtir un alibi.

Il est vrai que, comme le soulignait une spectatrice avisée, « le monocle à l'œil empêche bien souvent de voir des deux yeux ».

Prétention, que de crimes en ton nom!

M. Daniel Mesguich est hanté par le paroxisme. Sans doute, est-ce ainsi qu'il agit dans la vie de tous les jours, avec les hurlements de circonstance! Il lui fallait une victime. Il l'a trouvée en Marivaux. Il lui fallait aussi régénérer cette victime et, fièrement, Daniel Mesguich nous confie que ce même Marivaux est devenu essentiel, ayant été arraché à son rôle historique, celui d'étape d'une culture passéiste et référentielle ».

Le « Théâtre du Miroir » utilisant des « miroirs », (vous avez compris, aurait dit le général...) a cherché dans la mécanique théâtrale de Marivaux et le texte les éléments de violence, de cruauté et de sadisme (écrivons, le mot!) qui, incontestablement, existent, tout au moins dans « Le Prince travesti ». Mais, partant de ce raisonnement valable. Daniel Mesguich et les pauvres comédiens qui n'en peuvent, désarticulent les phrases, les débitent à la cadence d'une mitraillette ou majestueusement. Le cri d'épouvante est aussi seigneur sur le plateau, ce cri, si fascinant lorsqu'il réhabilite l'authentique souffrance, devient escroquerie quand il force les sentiments. Le Théâtre du Miroir jouant au paradoxe (le geste le plus facile) a, en langage familier, « pris son vélo pour le texte et choisi de monter une tortue pour exprimer le mouvement ».

Le résultat est ennuyeux malgré l'impassibilité hiératique du décor noir dans lequel se meuvent étrangement glacées des femmes en toilettes blanches.

Mais un décor cela ne suffit pas à faire un spectacle. Seul. Arlequin reste un personnage avisé, capable d'être d'aujourd'hui, tout en préservant l'acquis de la pensée d'un homme mort : Marivaux qui, lui, ne peut pas se défendre et demander vingt ans de travaux forcés contre les contrefacteurs.

Pourquoi, enfin, citerions-nous des noms? Les comédiens et comédiennes ne sont ici que les servants d'un chef d'orchestre inquisiteur.

A.V.

Auteur A.V.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) Le prince travesti

Date(s) du 1975-02-20 au 1975-03-01

Artiste(s) Marivaux

Compagnie / Organisation Théâtre du Miroir