Archives du Théâtre 140


Milan Sladek, un merveilleux mime au 140



Clés

?-3-1975

Milan Sladek

un merveilleux mime au 140

Le public se dérange malaisément pour assister à un spectacle de pantomime et il a tort, car il s'agit là d'un très grand art qui a ses racines dans le passé le plus lointain puisqu'il existait déjà bien avant Sophron de Syracuse. Les spectateurs du Théâtre 140 ont eu tort en tout cas de ne pas faire confiance à Jo Dekmine dont les choix s'affirment, au cours de ces dernières années, de plus en plus judicieux, éclectiques et rigoureux. Sans doute les absents n'ont-ils pas à regretter d'avoir boudé l'Histoire du Soldat qui avait été proposée au 140 en sus du spectacle choisi par Jo Dekmine (l'animateur du Théâtre 140 devait reconnaître à l'entracte de la première soirée que cette représentation de l'œuvre de Ramuz et Strawinski n'était pas tout à fait conforme aux prévisions). Non que le spectacle fût manqué. Simplement Milan Sladek et son équipe y font preuve de plus d'application que d'inspiration. En revanche la seconde soirée fut un régal artistique. Elle prouve en tout cas que Marcel Marceau ne saurait être considéré comme le seul représentant actuel de la grande tradition de la pantomime. On savait que le brillant disciple d'Etienne Decroux avait exercé une large influence aussi bien au Japon qu'en Tchécoslovaquie. Milan Sladek en est la vivante illustration. Ses débuts remontent à une quinzaine d'années à l'école théâtrale de Bratislava et au théâtre d'Emil Frantisek Burian à Prague. C'est avec Edouard Zablek qu'il a créé une compagnie de pantomimes qui a fait sa célébrité dans des spectacles tels que La Bosse, L'Invitation au silence, Le Marchand d'habits. Milan Sladek quitta ensuite la Tchécoslovaquie pour gagner la Suède et l'Allemagne. Actuellement Cologne est son port d'attache.

Kefka et le Cadeau est un curieux spectacle d'allure plus ionescienne que kafkaïenne. Kefka reçoit en cadeau un œuf monstrueux. Il le couve. En sort un gigantesque oiseau. Kefka le cajole, le nourrit, l'éduque. L'oiseau grandit encore démesurément et il pousse des ailes multicolores. L'oiseau est boulimique. Il avale un piano, puis un bras, une jambe de Kefka, et Kefka tout entier. Mais l'oiseau meurt et régurgite Kefka. Ce n'était qu'un cauchemar. Un cauchemar d'ailleurs passablement ambigu où se manifestent les pulsions de l'amour, du sexe (l'oiseau acquiert successivement des seins et un sexe masculin) et la peur. Fantasmes qui renvoient à des archétypes mentaux.

Le principal intérêt de ce spectacle plein de trouvailles et d'une haute inspiration poétique est qu'il associe le travail spécifique du mime à la célèbre technique tchèque du théâtre en noir. Mais alors que les trucages du théâtre en noir nous sont souvent apparus ces dernières années assez gratuites, ici ils servent remarquablement le thème et plaisent par leur sobriété. Jamais ils ne se présentent comme une fin en soi, mais jouent le même office qu'au cinéma les « effets spéciaux ».

Malgré les grandes qualités de Kefka et le Cadeau, je lui ai préféré la première partie du spectacle où l'on voit Milan Sladek faire ses gammes dans une série de morceaux qui s'intitulent Econduit, Salomé, Kefka et le Tournesol, La Marionnette, Le petit Soldat et Soirée mondaine. Là on peut admirer à loisir le merveilleux travail d'écriture mimique de Sladek. C'est là aussi qu'on peut le mieux le comparer à Marcel Marceau. « Kefka » et « Bip » sont certes parents, mais les deux mimes ont tout de même des styles très différents. Si Milan Sladek possède une grande rigueur classique dans sa gestuelle et ses mimiques, son inspiration relève aussi de l'esthétique baroque. Cela est visible en particulier dans la danse de Salomé d'un accent très parodique, d'une drôlerie féroce où Sladek incarne successivement et simultanément la danseuse et ...la tête de Jean-Baptiste! Avec La Marionnette, Sladek parvient à créer une curieuse ambiguïté entre l'objet et l'humain (disons qu'il retourne à l'humain par un détour à travers l'objet). Quant au Petit Soldat que Milan Sladek interprète avec deux de ses camarades, c'est un chef-d'œuvre de simplicité, de minutie, d'économie.

Que dire d'autre sinon que nous espérons revoir ce grand mime.

Jean Leirens

Auteur Jean Leirens

Publication Clés

Performance(s) "L'Histoire du soldat; Kefka et le cadeau; Kefka et la balle perdue"

Date(s) du 1975-01-29 au 1975-02-01

Artiste(s)

Compagnie / Organisation La Compagnie Milan Sladek