Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140, 'Légère en août'



La Libre Belgique

9-10-1975

AU THEATRE 140

« LEGERE EN AOUT »

Il y a dans « Légère en août », de Denise Bonal, présentée au dernier festival d'Avignon et jouée actuellement au Théâtre 140 par la Compagnie des Athévains de Paris, quelque chose d'infiniment frustrant.

La pièce part d'un fait divers réel et douloureux, vécu à nos portes : la vente d'un enfant, conclue à gros prix, dès avant la naissance et par l'intermédiaire de médecins, entre la mère qui n'en veut pas et celle qui ne peut en avoir. De là, elle veut nous convier à une réflexion sur la maternité, que celle-ci soit appelée, acceptée ou refusée, et sur la liberté qu'ont certaines femmes de choisir comme contrepoids au plateau « vie » de la balance, la mort ou l'argent. Un argent dont elles sentent bien qu'« il n'est pas normal » mais dont elles ont besoin ou envie parce que l'argent n'est une fausse valeur que pour ceux qui en ont toujours eu. Un argent qu'elles sont amenées à accepter comme l'issue d'un piège où elles sont tombées par ignorance, par solitude, par pauvreté, par faiblesse, par égoïsme et parce que la société dans laquelle elles vivent n'a le respect que de l'argent.

Que la réflexion se pose autant en termes de crise de conscience individuelle qu'en termes de morale de société, qu'elle se garde du sectarisme étroit autant que l'agressivité suffisante, c'est l'aspect positif du débat proposé. Mais que la réflexion piétine, qu'elle s'embourbe dans des lieux communs et des évidences, qu'elle pirouette vers le « boulevard » pour resurgir dans le drame, voilà qui est gênant. On voudrait s'enflammer pour ce sujet grave, entrer dans l'univers de ces femmes qui disposent de la vie d'autrui parce que la vie a disposé d'elles-mêmes. On voudrait vibrer pour des idées généreuses, mais, tout de suite, les idées tournent court. Au bout d'un quart d'heure, on bâille doucement : le problème a été posé — sobrement et intelligemment — d'entrée de jeu. A partir de là, plus personne ne l'empoigne, à cœur et à tripes, avec la ferveur et la profondeur qu'il mérite.

L'ensemble donne une impression d'inachevé et d'immaturé, liées à l'essoufflement des idées mais aussi au manque de chaleur et de cohésion de la mise en scène et de l'interprétation. Trop de silences inutiles. Une totale absence de rythme. Des ruptures de ton qui dispersent. Trop peu de conviction pour ébranler. Trop d'hésitations à passer de l'ébauche à l'œuvre. Un jeu élémentaire et trop retenu des comédiens.

Si çà et là, quelques scènes se révèlent touchantes — celle où, la nuit, Solange rencontre une de ses compagnes — d'autres, esquivées — celle de l'avortement raconté — ne s'élèvent pas à la hauteur du dessein.

On est d'autant plus navré qu'on a l'impression que la réussite n'est pas impossible. Le sujet en vaut la peine. Ces longs balbutiements, ces murmures qui, mêlés à d'autres murmures, deviennent conscience, portent en eux leurs propres forces vives. Il y manque essentiellement un main ferme et ardente pour les animer et, les portant jusqu'au bout d'eux-mêmes, nous atteindre, enfin, au plus vulnérable de nous-même.

« Légère en août », de Denise Bonal, est mise en scène par Viviane Theophilides dans un très beau décor, clos et aseptisé, de Claude Lemaire. Elle est interprêtée par Anne-Marie Lazarin, Dido Lykoudis, Lise Martel, Betty Raffaeli, Viviane Theophilide et Marie Tikova. Jusqu'au 12 octobre, à 20 h 30.

M. V.

Auteur M.V.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Légère en août

Date(s) du 1975-10-07 au 1975-10-12

Artiste(s) Les AthevainsDenise Bonal

Compagnie / Organisation