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Au Théâtre 140: 'Légère en août' par la compagnie Les Athevains. Une excellente pièce 'bourgeoise' de Denise Bonal



Le Peuple

10-10-1975

Au Théâtre 140 :

« LÉGÈRE EN AOUT » par la compagnie Les Athevains

Une excellente pièce « bourgeoise » de Denise Bonal

C'est une pièce fort passionnante que présente Jo Dekmine au Théâtre 140. Elle s'appelle « Légère en août ». Elle a pour auteur Denise Bonal et la mise en scène est signée par Viviane Theophilides.

Cinq femmes enceintes sont réunies dans une maternité clandestine et se préparent à donner la vie à l'enfant qu'elles portent en leur sein. Si elles sont dédiées à se débarrasser de cet enfant, elles ont refusé l'avortement. Alors, elles ont accepté un marché étrange, celui d'abandonner le nouveau-né dés les premiers instants de la naissance.

L'enfant ainsi rejeté trouvera une autre maman, une inconnue, qui pour des raisons médicales, ne peut, engendrer La vie.

Entre ces deux circonstances, intervient l'élément « commercial » qui donne le ton à la pièce et introduit le débat.

Car, il est raisonnable d'imaginer aujourd'hui qu'une femme — pour des raisons bien précises —, ne désire pas d'enfant, et il est tout aussi raisonnable de comprendre qu'une femme en désire alors que la faculté lui a prédit l'impossibilité de la fécondation.

Entre ces deux femmes, un lien : l'argent. Une va donner à l'autre tout ce que cet échange postule de valeur commerciale. Un intermédiaire : le médecin et son organisation clandestine.

Voilà les éléments de ce drame […] sur un fait divers authentique.

Tout l'art de l'auteur consiste à démontrer le mécanisme psychologique qui anime ces femmes. Et comme elle les fait vivre ensemble, on devine que le comportement de chacune est influencé par celui des autres et que chaque drame personnel se double d'un débat collectif qui, dans ce cas, débouche sur une interrogation angoissante et se retourne contre celle qui se la pose.

Donc une tension nerveuse aux abois, une inquiétude morale qui efface l'acte en lui-même, une exaspération des sentiments et une densité dramatique qui font de « Légère en août » une excellente pièce qui respecte les traditions du théâtre traditionnel.

Jo Dekmine a d'ailleurs bien tort de s'excuser en considérant que cette pièce ne se situe pas du tout dans la veine du théâtre expérimental qu'il a la réputation de présenter.

Par la nature même de son thème, par les idées qu'elle brasse, par les réflexions qu'elle contient, « Légère en août » est une pièce profondément sociale dont l'auteur a osé aborder un des tabous de notre société : la naissance et toutes les valeurs morales qui se rattachent à cet événement.

La pièce démarre lentement, comme pour souligner le décalage qui existe entre le monde réel et cette prison pour femmes. Puis, par paliers, elle situe les drames personnels et finit par une sorte d'implosion qui frise une tension insoutenable pour chacune.

Point n'est besoin d'entrer dans le détail. Car, il ne faut pas être fin psychologue pour deviner les mobiles qui ont poussé ces femmes à refuser l'avortement, mais à accepter tous les avantages d'un acte semblable, l'argent en plus. Du reste, Florence, Minda, Omette, Dominique et Solange n'ont pas envie de cet enfant parce que ça ne les arrange pas. Un point, c'est tout.

Ginette a déjà « vendu » trois bébés, mais, dit-elle, le quatrième, elle le gardera. Les autres sent les victimes d'un « accident ». Au fil du temps, les sentiments se déglinguent, la culpabilité se fait menaçante, la petite servante portugaise se suicide et Florence met au monde un petit Noir…

Bref, « Légère en août » implique beaucoup de réflexion, engendre tout de même une certaine amertume et contraint le spectateur à redécouvrir toutes les facettes de la réalité quotidienne.

Bien sûr, quelques poncils, quelques clichés privent la pièce d'une originalité formelle. Mais « Légère en août » appartient, par son contenu, à l'anthologie du théâtre moderne.

La pièce est joliment défendue par Anne-Marie Lazarin, Lise Martel, Betty Raffaeli, Dido Lyroudis et Marie Tikova.

Une pièce sur la stérilité, la pauvreté, la cupidité. Une pièce riche, trop riche peut-être...

Ph. GENEAERT.

Auteur Ph. Geneaert

Publication Le Peuple

Performance(s) Légère en août

Date(s) du 1975-10-07 au 1975-10-12

Artiste(s) Les AthevainsDenise Bonal

Compagnie / Organisation