Archives du Théâtre 140

La Libre Belgique

11-12-1975

Au Théâtre 140

Le théâtre japonais « TENJO SAJIKI »

Le « Théâtre Total » Tenjo Sajiki de Tokyo n'est venu donner en Belgique qu'une seule représentation de « Bandages », un spectacle conçu et réalisé par le grand écrivain et cinéaste japonais Shuji Terayama. Alors qu'il vient de passer dix jours à Amsterdam. Alors qu'il va parcourir l'Allemagne pendant un mois. Alors que... mais passons. Il est bien connu que les Belges se méfient des nouveautés inconnues ou étranges.

Pendant une heure et demie la salle heureusement comble du Théâtre 140 aura assisté à une espèce d'opéra sauvage et barolences forcenées que renouvelle et brutales, des visions délirantes, des caricatures flamboyantes sont exprimées par des acteurs aux talents multiples et disciplinés, et baignent dans un fleuve déchaîné de musique et de bruitage.

La tradition japonaise charrie des grâces raffinées et des violences forcenées que renouvelle et enrichit l'apport des techniques et des inspirations de la modernité occidentale, offrant par là-même un des visages les plus caractéristiques du Japon contemporain. Le spectacle relève de cette confluence. Le goût oriental du paroxysme y épouse un fantastique d'origine anglo-saxonne, pour évoquer de façon suggestive la peste qui isole et menace les habitants d'une maison, les entraînant dans une sarabande convulsive et nocturne sous les incitations de la terreur et de l'espoir.

Il serait erroné et vain de vouloir traduire en termes rationnels une évocation que le jeu, les costumes, les sons, les éclairages, les appareils scéniques rendent essentiellement « physique ». Et dont la thématique de base est axée sur l'emploi de marteaux et de clous qui, par leur efficacité visuelle et sonore, servent à la fois de langage et de symbole.

A ce spectacle le public ne peut réagir que par un rejet absolu ou par un envoûtement total. Ou l'on refuse le viol de ses sens, ou l'on se laisse envahir par une admiration forcenée. Car ce spectacle joue d'un archet cruel sur nos fibres secrètes. Et révèle de ce fait, à travers le prisme d'une beauté magique, la face ténébreuse de nos cœurs et du monde.

J. F.