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'An die Musik' (concert classique à Dachau) par le Pip Simmons Groupe Theater de Londres



THEATRE 140

Saison 75-76

Service de Presse

Avant-première

Prière d'insérer svp

AU THEATRE 140

du 23 au 28 février à 20 H30

"AN DIE MUSIK"

(concert classique à Dachau)

par le Pip Simmons Groupe Theater de Londres

"Est-ce encore du théâtre?" Aucun des critiques, fascinés par cet étrange spectacle, n'a formulé ce reproche que j'ai entendu faire par quatre spectateurs à Amsterdam, manifestement effrayés par ce qu'ils venaient de voir. Cette réaction m'a paru essentielle; ce n'était donc plus du théâtre. On en était sorti pour pénétrer en plein accident dans la lividité du destin, cet absurde "pays réel" historiquement vérifiable.

Schubert, liszt et Beethoven au pays de l'horreur

Un spectacle qui ne ménage rien, secoue les habitudes, mêmes celles de l'inconfort, mais son point de départ historique, la méthodique destruction de la personne humaine dans les camps de concentration nazis, ne ménageait rien non plus.

"An die Musik" est le titre d'une oeuvre de Schubert, jouée au début du "concert". Ailleurs, un air funèbre de Beethoven habille les musiciens nus, une fumée blanche monte, les enveloppe, les couvre, peu à peu les efface, main douce de la mort, paix du néant. Dans la chambre à gaz, les déportés se concentrent sur la musique, transgressent la loi des bourreauxet, par là, sauvegardent la seule chose qu'ils possèdent encore, leur dignité. Le spectacle s'achève sur cette image pour laquelle il faudrait inventer le mot beauté. Elle s'installe sur la scène, se prolonge dans la mémoire, une de ces images-clés par quoi le théâtre prouve sa nécessité.

Pip Simmons dit qu'elle s'est imposée à lui depuis le jour où il a appris cette absurdité atroce: les nazis formaient dans les camps des orchestres de déportés. A partir de là, avec son groupe, il a construit un spectacle absurde. Sacrilège, car il est dangereux de mettre de l'humour sur des histoires de camp de la mort.

"An die Musik" commence par un sketch burlesque: le rêve d'Anne Frank, un repas familial, des ossements de carton servis avec une morgue britannique par un SS. Cette situation impossible fait naître chez la jeune fille un sentiment de culpabilité angoissée. Apparait dans son cauchemar l'idée d'humiliation, arrière-plan permanent de l'histoire du peuple juif, l'humiliation par le ridicule:

"Etre ridicule, dit Pip Simmons, c'est se trouvé poussé hors de sa vérité, dans un endroit, dans une société où on n'a pas de racines, et on devient infirme".

Il montre l'aspect grotesque de l'infirmité sans la tourner en dérision. Au contraire, il nous accuse de la trouver grotesque, et d'une manière d'autant plus violente qu'il la relie à un moment historique précis, proche, encore cuisant.

L'humour de Pip Simmons n'use pas d'euphémismes. A la fin du rêve d'Anne Frank, la situation impossible se détruit d'elle-même. Le frère endosse l'uniforme SS, devient le SS qui, dans un camp, joue avec les déportés, leur fait exécuter des exercices inutiles, les humilie par la fatigue, la toute-puissance de ses caprices, nous prend à témoin de la "plaisanterie". La dérision vient du décalage entre la puérilité de son comportement et la règle d'un jeu qui lui accorde le pouvoir absolu. On pense à ce film tourné par les SS au ghetto de Varsovie où l'on voit un soldat obliger un enfant à danser devant une carotte.

Ces dernières lignes sont extraites du deuxième article de Colette Godard paru dans "Le Monde" au sujet de "An die Musik".

Ce que vous verrez

Dans "Le quotidien de Paris", Patrick de Rosco nous le décrit plus textuellement: "Degré ou de force, nous voici témoins - peut-être même complices - de la plus atroce célébration qu'ait inventée la mort moderne. Où sommes-nous? Dans un camp de déportation, où les SS obligent leurs prisonniers à jouer une opérette en un acte "Le rêve d'Anne Franck", devant nous, c'est-à-dire devant leurs bourreaux. Un chandelier à neuf branches, dans la pénombre. Autour de la table: une famille réunie pour la cérémonie du Sabbat, tout en attentions réciproques, mimant la tendresse, mais avec des expressions si outrées, une frayeur, une hébétude si évidente, que le malaise, la terreur, immédiatement, s'emparent de nous. A l'arrière de la scène, des musiciens qui chantent et jouent. Un soldat qui est là, qui nous fait souvenir, s'il en était besoin, qu'on nous donne à voir une farce supposée divertissante, et que la bestialité, la peur, doivent atteindre leur plus bas niveau, pour être efficaces. Il leur arrache leurs colliers, leurs bagues, leur sert des os humains, en guise de repas, leur fait ingurgiter du pain qu'ils vomissent, et ensuite, sous nos yeux qu'ils avalent à nouveau. Les coups pleuvent sur les corps, sur les crânes. On s'interroge sur la résistance nerveuse des comédiens, qui s'infligent mutuellement un pareil traitement.

L'hystérie collective va toujours croissant.

Une métamorphose s'accomplit soudain. Un des Juifs revet l'uniforme croix gammée. Aussitôt il change d'âme: jeune brute à la mâchoire serrée, cravache en main, avec la folie dans la prunelle, et qui ne nous cache nullement le plaisir que lui font éprouver les diverses tortures qu'il invente. Comment décrire ces cadavres aux yeux ouverts qui sautent, s'allongent sur le sol, crachent les uns sur les autres, sentent l'acier du couteau sur leur gorge, s'inondent d'eau glacée, marchent en aveugles, coiffés d'un seau sur lequel le garde-chiourne frappe à coups redoublés? Après le théâtre: le concert qui n'est pas moins lugubre. Schubert, Liszt, Beethoven, sont autant de rythmes sourds, arrachés, dont ces musiciens martyrisés nous rendent intolérables la désespérance. Les voix tremblent, mais elle sonnent juste. Un miracle veut que cette musique soit belle.

Ce que nous venons de voir est bien loin de nous laisser indemnes."

L'Officier nazi n'est pas trop mécontent

Gérard Condé lui raconte dans "Le Monde" ce qu'il a vu :

"On nous annonce maintenant un petit concert. Et d'abord "An die Musik" de Schubert par un groupe de prisonniers juifs du camp où vient d'arriver Anne Frank. "Un paradis à côté de ce qui se passe ailleurs", note-t-elle, dans son journal. Naturellement, l'exécution n'est pas brillante. Le choeur improvisé chante faux. L'officier nazi pourtant n'est pas trop mécontent. Cela le repose des humiliations cocasses qu'il vient d'imposer aux détenus. Lorsque le rythme fléchit il se donne la peine de le soutenir du bout de sa botte sur un seau de ménage. Les soubresauts de la malheureux qui a dû y glisser la tête sont du dernier comique."

Un metteur en scène juif: Pip Simmons s'insurge contre le fatalisme de son peuple

Pip Simmons a vu, c'était il y neuf ans un film sur un orchestre de déportés à Dachau. Il s'est demandé s'il pouvait exister une situation plus absurde dans l'atroce, plus atroce dans l'absurde.

Une sorte d'épouvante ancenstrale s'est réveillée en lui, amenant des questions sur les génocides qui se perpétuent dans des formes diverses sur l'adaptation de l'homme - de l'homme juif en particulière - au malheur. La pièce cite un texte de Bruno Bottelheim sur la façon juive d'accepter son destin. Pip Simmons expose avec un humour terrifiant la vanité de sa révolte contre le fatalisme.

Il a imaginé comme seul réquisitoire implacable cette "reconstitution humoristique du crime" où le bourreau solliciterait notre complicité tacite. Plus question de se réfugier derrière un humanisme confortable (solennité des Te Deum), nous sommes impliqués par omission dans le système tortionnaire qui régit encore aujourd'hui de nombreux pays providentiellement éloignés de nous.

Nous réclamons pour Pip Simmons le droit de traiter ce sujet comme il l'entend.

Pourquoi présenter ce spectacle à Bruxelles?

Avant sa consécration à Avignon, le presque scandale à Paris, nous avons vu "An die musik" au théâtre Mickery à Amsterdam, et décidé de le montrer à Bruxelles si la disponibilité des comédiens le permettait encore un an plus tard. Ce spectacle s'appelle inconfort et dignité, les Bruxellois ont-ils besoin de spectacles inconfortables, bizarrement dignes, et qui laissent perplexes l'honnête homme? Bruxelles où la culture est synonyme de confort ou d'ennui... Nous ne sommes pas d'accord avec ceux qui à Paris assimilèrent "An die Musik" au trouble psychodrame de "Portier de nuit". Pip Simmons ne tolère aucune étrange amnistie analogue.

Le premier "Living Theatre"

Simmons s'est inspiré d'un spectacle ancien du Living Théâtre, "The Brigg", où les acteurs jouaient avec un souci d'hyperréalisme les brimades réglementées des prisons pour l'armée américaine en Corée. Ils devaient suivre une étiquette d'un formalisme absurde le moindre faux pas entraînait une punition.

L'Aurore écrit ; "un spectacle atroce et admirable".

Le Nouvel Observateur : "Le coup d'éclat du festival est venu d'Angleterre avec Pip Simmons. Cette descente aux enfers est l'honneur d'Avignon."

Le Figaro par contre écrit: "L'expérience est située au-delà des frontières du théâtre, dans une région de nous-mêmes où nous n'aimons guère nous aventurer. Comment réagit le public d'une salle normale?"

Le spectacle n'est pas accessible au moins de 16 ans.

Au Théâtre 140: du 23 au 28 février 76 à 20h30

Auteur

Publication [persbrochure]

Performance(s) An die Musik

Date(s) du 1976-02-23 au 1976-02-28

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Pip Simmons Company