Archives du Théâtre 140

Le Soir

11-5-1976

« Vivre à 20 F », au 140 :

fournaise, plaisir et « sit-in »

Bizarre initiative que celle prise par le directeur du Théâtre 140 d'ouvrir, pendant deux jours, toutes grandes les portes de sa salle de l'avenue Plasky et même celles des Halles de Schaerbeek. A un tarif battant toute concurrence, vingt francs. Et dans une fournaise défiant même les plus inconditionnels.

Mais initiative réussie puisqu'une fois assuré le succès public, le plaisir allait suivre à son tour, empruntant les itinéraires les plus disparates, voire les mariages de genres les plus saugrenus.

Si la Belgique des créateurs a vécu un moment privilégié, elle l'a fait de surcroît sans préjugé, sans sectarisme et sans autorité disciplinaire. Le folk, le rock, le country, l'électronique, le ballet, le théâtre furent ainsi voués à une fraternisation inconditionnelle, entre deux « platées » de stoemp, une multitude de canettes, des serviettes chaudes et dans des allées-venues bon enfant.

On retiendra tout spécialement les galipettes country du « Country Gazette » quatuor étincelant dans sa bonhomie râpeuse et caracolante.

On remerciera le « People Show » de Londres pour un spectacle sans nom et pourtant irrésistible dans son absurdité, axé sur le personnage d'un boxeur, manipulé jusqu'à y laisser sa vie, par une brochette de protecteurs et autres imprésarios sans vergogne. Un spectacle signe que des énermènes faillirent gâcher d'entrée par une attitude d'une incroyable grossièreté. Mais les gens des « People Show » savent s'imposer en douceur. Leur humour, leur sens de la dérision, la poésie visuelle qui sourd de la moindre de leurs interventions justifiaient à eux seuls le déplacement, gracieux, offert dans le cadre de « Vivre à 20 francs » dont on ne peut que souhaiter le prochain renouvellement, voire même l'instauration définitive. Des spectacles à bon marché ne sont jamais que le signe évident de la vitalité d'un pays.

Que de surcroît, ils permettent à de jeunes créateurs de faire leurs premières armes sur des planches qu'au préalable on aura débarrassé de leur vernis de « temple » et que, par conséquent, on aura démythifié, sont autant de raisons de croire à l'avènement d'une véritable politique de culture de masse.

A. DR.