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Prometheus, aux Halles de Schaerbeek: fulgurant!



Le Soir

15-5-1976

Prometheus, aux Halles de Schaerbeek : fulgurant!

Il est des circonstances où le métier de critique nous comble de joie. C'est évidemment quand il nous arrive de devoir écrire sur des spectacles qui atteignent le sommet de la perfection. Prometheus est de ceux-là. Nous n'avons qu'un conseil à vous donner : quel que soit votre moyen de locomotion, vous devez-vous ruer aux Halles de Schaerbeek! (1)

Et pour trouver quoi? nous demanderez-vous. Eh : bien tout simplement du bon, du très bon théâtre d'avant-garde. Un théâtre sans complications, sans dogmatisme, sans prétention : un théâtre vrai, chaud, franc comme une poignée de mains, mais aussi dur, brûlant, violent comme un coup de poing.

Prometheus c'est en deux mots le mythe d'Eschyle transposé à notre époque. Le héros mythologique a pris les traits d'un jeune contestataire blessé au cours d'une manif et conduit par la police dans un hôpital pilote. Le voici entre les pattes blanches des médecins et des infirmières. On le mesure, on l'interroge, on l'ausculte, on l'observe, on le prépare à devenir cobaye. Pensez donc : un élément asocial! Le médecin en chef s'en délecte à l'avance : quelle belle expérience il va pouvoir faire! On se presse autour de notre gaillard, qui en attrape des hallucinations et se cherche un allié parmi les malades... Mais il ne pourra éviter, dans un lieu aussi déboussolé que la société qui l'a fait naître, de subir des sévices et bientôt l'opération finale dont il sortira gravement diminué.

Ne croyez pas que ce drame se joue en dehors de vous. Car vous êtes les premiers concernés. Pour avoir le droit de prendre place sur les gradins, vous êtes obligés de revêtir vous-mêmes la blouse blanche! Pendant plus d'une heure, votre rôle consistera à écouter attentivement les leçons qui vous seront données par un professeur tyrannique, mégalomane et mythomane.

Sous la direction de notre compatriote, Franz Marijnen, les comédiens de Camera Obscura imposent leur voix, leurs gestes, leur corps tout entier. Ils accomplissent devant nos yeux un travail exceptionnel. La troupe est composée d'acteurs qui parlent plusieurs langues mais le spectateur n'éprouve aucune difficulté à les comprendre tant ils mettent d'expressivité dans tout ce qu'ils font. Sans aucun doute, leur démarche bénéficie de multiples apports : ici et là, un souvenir du Living Theater, une pantomime qui a des saveurs chaplinesques, une grimace à la Jerry Lewis ou à la Woody Allen. Mais vraiment ils n'ont pas leur pareil pour « signifier » le monde hospitalier avec ses manies, son rituel, ses mécanismes et ses fantasmes. L'incroyable injustice de notre civilisation qui tue ses Prométhée parce qu'ils ne répondent pas aux « normes » est littéralement démontrée par l'absurde. Camera Obscura nous fait prendre en dégoût le blanc, le propre, l'aseptisé qui relèvent d'un univers trop parfait pour être honnête. L'angoisse nous saisit dans ses tenailles. Elle ne nous lâchera plus.

M. G.

(1) A l'heure où nous écrivons, il ne vous reste malheureusement qu'un seul jour.

Auteur M.G.

Publication Le Soir

Performance(s) Prometheus

Date(s) du 1976-05-13 au 1976-05-15

Artiste(s) Camera ObscuraFranz Marijnen

Compagnie / Organisation