Archives du Théâtre 140


Aux Halles de Schaerbeek, Promethee par 'Camera obscura'



La Libre Belgique

16-5-1976

Théâtres et concerts

Aux Halles de Schaerbeek '

PROMETHEE

PAR « CAMERA OBSCURA »

Le « Prométhée » joué par « Camera Obscura » aux Halles de Schaerbeek, (18, rue de la Constitution) pendant trois jours seulement (la dernière a lieu ce samedi soir à 20 h 30) est un de ces spectacles auprès desquels pâlissent nombre de représentations tantôt routinières, tantôt d'un avant-gardisme dont la réalisation ne correspond guère à l'ambition. Nourri des meilleurs apports de la révolution théâtrale des années soixante (Living Theatre, Grotowsky, La Mama, Peter Brook, etc.), mais les transcendant par une re-création qui se situe à l'opposé d'une imitation même habile ou d'une application même intelligente, voilà une représentation qui mêle la parole et le geste, la vie et le jeu, le rite et le réalisme, la vision et la visualition, la vérité d'une situation et le mensonge du théâtre.

Nous ne reviendrons pas sur la personnalité de Franz Marijnen, ce metteur en scène belge que l'étranger se dispute et que notre pays dédaigne: l'interview que nous avons publiée vendredi matin le dépeint suffisamment, nous semble-t-il. Le spectacle qu'il propose a du muscle et de la beauté, conjugue la mythologie et l'hyperréalisme, la réflexion sociale et un sens très contemporain du baroque d'aujourd'hui. Prométhée est l'homme de la rue qui se bat - à sa façon gauchiste - que l'on peut discuter - pour le bien-être de la société. Blessé, il échoue dans un hôpital, où il est livré à la discrétion et à la hiérarchie des médecins (les deux) qui disposent sur lui d'un pouvoir quasiment absolu. On aurait tort de voir dans ce qui se passe à l'hôpital, une caricature du monde médical ou hospitalier. Bien que basé sur une observation aiguë des petits faits vrais qu'on y peut enregistrer, la transposition du mythe prométhéen utilise l'univers hospitalier comme symbole révélateur d'un type de relation entre les dieux et les mortels. L'avait bien compris le médecin-chef d'un grand hôpital hollandais qui, à l'issue d'une représentation, est venu saluer et féliciter Marijnen.

Dans cet univers, à la fois onirique et symbolique, se déroule tout un cérémonial où l'inquiétant médecin-chef (Zeus) se transforme en aigle; où l'opération chirurgicale évoque une messe solennelle à trois prêtres; où Prométhée et Zeus dansent une fascinante danse de mort qui abolit leur relation de maître à esclave; où le texte devient un élément liturgique de l'action et paraphrase avec subtilité le choeur de la tragédie grecque. Cela dit, le spectacle est servi, porté, joué, vécu, par des acteurs étonnants, au premier rang desquels brillent Thomas Kopache (un Zeus médecin-chef paranoïaque d'une puissance interprétative saisissante) et William Ward (un Prométhée jeune idéaliste en qui s'exacerbent la révolte, la candeur, la déréliction d'une victime broyée par sa mise en cause de l'ordre existant).

Dira-t-on que le parallélisme est outré alors que le vieux mythe grec racontait déjà le supplice de Prométhée condamné à être enchaîné sur le Caucase et à avoir le foie dévoré par un aigle, parce qu'il a fait don du feu à l'humanité et troublé de ce fait l'ordre de l'univers et les privilèges des dieux? Que l'idéaliste d'aujourd'hui ait le cerveau déchiqueté plutôt que le foie ne témoigne que des progrès de la science, comme l'asile psychiatrique constitue, en Union soviétique, un instrument répressif tellement plus raffiné que le système carcéral traditionnel.

J.F.

Auteur J.F.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Prometheus

Date(s) du 1976-05-13 au 1976-05-15

Artiste(s) Camera ObscuraFranz Marijnen

Compagnie / Organisation