Archives du Théâtre 140


Le festival de Nancy



La Relève

18-9-1976

Le festival de Nancy

Fondé en 1965 par Jack Lanc, le festival de Nancy, toujours menacé et toujours renaissant, n'a pas cessé de requérir l'intérêt et le plaisir de ceux qui sont à l'affût du nouveau théâtre sous toutes ses formes et dans tous les pays.

Nancy, bien sûr, n'est pas Avignon. Et même quand l'admirable place Stanislas et les rues de la vieille ville du XVIIIe s'animent, ce n'est pas le foirail. Il y a du chemin entre la Lorraine et la Provence, et mai (cette fois septembre) ce n'est pas ou plus tout à fait les vacances. Beaucoup de jeunes parmi les spectateurs, mais ce sont surtout des jeunes de la région, attentifs, sérieux, passionnés.

Et pourtant, on fait autant sinon plus de découvertes à Nancy qu'à Avignon, et cette ville est en passe de devenir « la » ville du théâtre international en France. En effet, depuis cette année, il a été décidé que le festival de mai redeviendrait annuel, et qu'il serait complété par des manifestations secondaires, centrées autour de thèmes, comme celle qui vient d'avoir lieu autour du comique contemporain. Enfin, un théâtre et une école de théâtre y fonctionneront désormais de manière permanente.

Il serait sans doute excessif de parler de révélation bouleversante cette année — les révélations sont rares, et l'homme, même de théâtre, ne vit pas seulement de révélations... —, mais les spectacles de qualité encore peu connus du public français ou belge étaient nombreux.

Le thème du festival étant le comique, on se demandera s'il existe un comique proprement contemporain, ou s'il ne s'agit pas de l'articulation contemporaine d'un comique enraciné dans une tradition qui serait une quasi-nature (du moins pour autant qu'on reste dans la culture occidentale). Je serais assez tentée de dire que cette articulation contemporaine (mais qui n'est pas nouvelle) c'est le politique, encore qu'on puisse se demander si tout rire n'est pas politique, soit qu'il consolide et homogénéise un état de fait soit qu'il y ouvre une brèche indispensable au travail révolutionnaire, soit qu'il se tienne dans l'ambiguïté.

Politique en tout cas le rire du Campesino mettant en question la manipulation des travailleurs agricoles mexicains en Californie, politique le rire féroce du Ridiculous de Ludlam qui gèle tous les signes de notre culture en les aiguisant, politique le rire vengeur du Comuna portugais mettant en question la famille, la religion et le capitalisme, politique encore, mais tout en subtilités et en nuances, le rire des jeunes Yougoslaves de Pozdravi, si exquisement riverains de l'Italie, politique le rire de ces Chiliens qui n'ont pu venir à Nancy parce qu'ils sont enfermés dans une prison de leur pays.

Et en pensant à ces derniers, on se dit que le théâtre, dont on pourrait craindre qu'il ne rende tout propos inoffensif en le rendant scénique — et consommable — est tout de même le lieu d'une provocation sinon d'une menace. Et que nous n'avons pas fini de rire.

Fr. C.

N.B. — Quelques-uns de ces spectacles sont déjà assurés de passer à Bruxelles au cours de l'année : le « Campesino » aux Halles, et plus tard, au Théâtre 140, le « Mabou Mime » américain, qui faisait exception au thème du comique.

Signalons que les 28, 29 et 30 septembre une autre troupe américaine importante, un peu plus connue déjà des Bruxellois, le « Bread and Puppit », passera au Théâtre 140. A ne pas manquer non plus. Nous en reparlerons.

Auteur Fr. C.

Publication La Relève

Performance(s)

Date(s) 1976-09-18

Artiste(s)

Compagnie / Organisation