Archives du Théâtre 140

La Libre Belgique

26-9-1976

Le « Teatro El Campesino » de Californie

aux Petites Halles de Schaerbeek

The Tent of the Underdogs

Les campesinos, ce sont les ouvriers agricoles mexicains exilés aux Etats-Unis. Le Teatro El Campesino a été fondé en 1965 par Luis Valdez à la suite d'une grève des vendangeurs à Delano. Il s'agit donc d'un théâtre d'agitation destiné à politiser ces travailleurs émigrés et, subsidiairement, à les faire adhérer à l'action de l'« United Farmworkers », un syndicat bien à eux luttant non seulement contre les grands propriétaires terriens, mais encore contre la puissante centrale des camionneurs assimilée, non sans raison semble-t-il (des enquêtes criminelles nous le rappellent presque annuellement) à la maffia.

C'est donc un peu en « observateur étranger » qu'un public citadin d'Europe ira voir The Tent of the Underdogs, autrement dit, et mieux, La Carpa de los Rasquachis. (La pièce est jouée en mexicain et lorsque les acteurs parlent américain c'est par dérision ou pour situer des types). D'un point de vue strictement politique, d'ailleurs, il faut bien avouer qu'un tel spectacle, promu chez nous comme outil de lutte ouvrière, serait considéré, tel quel, comme particulièrement enfantin. Aussi, malgré spectateurs de Schaerbeek en blue jeans d'Yves Saint-Laurent levant leur poing aux ongles soigneusement manucurés à l'issue de la représentation, n'est-ce point ainsi qu'il faut le considérer. La Carpa de los Rasquachis est un merveilleux exemple de théâtre populaire vivant, dont le message ne nous concerne qu'en gros, mais dont l'alacrité, le dynamisme foncier, l'inspiration réaliste vraie, l'humanité, l'humour aussi familier que sournois, la réussite du contact public-acteurs sont presque des injures à la plupart de ceux qui, chez nous, se mêlent d'« agit prop »

Le décor est celui des Raisins de la colère : l'action, celle du passage annuel de la frontière par 200.000 immigrants clandestins, rançonnés pour ce passage, rançonnés pour obtenir un contrat, celle des enfants travaillant soixante heures par semaine, celle des insecticides déversés par avion sur les vignes... et les vendangeurs... (Une enquête du Sunday Times semblerait prouver que la situation actuelle est pire qu'au temps de Steinbeck). C'est un théâtre didactique, destiné à promouvoir, pour une minorité ethnique, dans un microclimat social donné, la liberté économique par — il faut le souligner — la non-violence. C'est un théâtre qui va directement au cœur, populaire infiniment dans son substrat, savant sans qu'il n'y paraisse. On pense, en le voyant, tant au point de vue de l'inspiration qu'à celui de l'impact, à Mistero Buffo, mais avec beaucoup plus de liberté familière, d'implantation dans le vécu. La technique de Luis Valdez fait aussi — c'est dans la ligne — fortement penser à la commedia dell'arte; et l'on ne s'étonne pas, dès lors, que le leader du groupe ait été influencé, à ses débuts, par le San Francisco Mime Troupe.

Tous ceux qui aiment le théâtre vivant doivent aller voir, d'urgence (1), La Carpa de Los Raequachis. Entre le Geronimo raté mais instructif d'André Benedetto, programmé naguére par « 140 » déjà, le Bread and Puppet qui va y revenir, le travail de la Communauté de Seraing. L'Age d'Or du Théâtre du Soleil, vu, la saison passée, à Louvain-la-Neuve, cette histoire d'une famille de chicanos, contée en sketches pleins de vie sous la musique omniprésente de ballades mexicaines, est un élément nécessaire de culture théâtrale. Et, ce qui ne gâte rien, une soirée excitante comme l'on nous en propose peu à Bruxelles.

J. C.

(1) A l'heure où paraîtra cet article, El Campesino ne donnera plus qu'une seule représentation: ce samedi 25, à 20 h 30. (Les éléments visuels du spectacle permettent d'en comprendre toutes les nuances même lorsqu'on ne connaît ni l'anglais ni l'espagnol)!