Archives du Théâtre 140


Le 'Club Teatro di Roma' au 140: les lois de l'inhopitalité



Le Soir

7-10-1976

Le « Club Teatro di Roma » au 140 : les lois de l'inhospitalité

Un décor blanc déchiqueté d'outils dont on aimerait qu'ils ne soient pas que de torture. Un homme, sparadrap sur la bouche, corseté, chaussé à la scaphandrier dont on aimerait qu'il ne soit pas qu'un garde-chiourme.

Un sac de toile, solidement noué et probablement « habité ». Ce sont les trois pôles visuels du spectacle « Sacco », que le Club Teatro di Roma organise depuis mardi soir et jusqu'au 13, sur la scène du Théâtre 140.

Premières approches, premiers brouillons de torture : on flagelle un peu, on râpe, on fait mine de poignarder ce paquet balourd et muet bon pour la bastonnade et la pulvérisation. Et pourtant la mise en demeure ne va pas se passer si aisément. La « chose » montre des velléités de protestation, grommelle, maugrée et pique même un fard. Au cas où...

Le bourreau n'en a cure, la coiffe d'un bathyscaphe de caoutchouc, fait appel à des spectateurs pour vérifier, hisse le tout à l'aide d'une poulie à un bon mètre du sol, prend des mensurations, inocule, sonde, ausculte à l'aide d'une pompe à bras. A la limite « extrême-onctionne »…

Tout ce processus de brimades et de répressions s'organise avec une lenteur quotidienne et en des termes physiques si prosaïques qu'on les croirait empruntés au manuel du parfait petit - exploité - récupéré. De fait, le bourreau s'y entend comme pas deux pour aménager ces endroits où l'on

pourrait mourir, décentre à son seul profit les axes du rapport des forces, amadoue quand il sent qu'il a été trop loin, pratique la douche écossaise parce qu'on n'a jamais éprouvé meilleure technique pour remodeler les récalcitrants. L'autre lâche du lest. Vraie sciure, avant de passer une jambe, puis l'autre, un bras, puis l'autre, appareil sans tête, dérisoire, ballotté dans ce sac dont le manipulateur a fait sa cible privilégiée. Lance-pierre, tenaille. L'autre finit par sortir, périscope en bataille et « vide son sac »: balles, cailloux, patates, plus petites balles encore, corde. Une façon de mettre ses tripes à l'air. Pas pour longtemps. Le voici bouclé derechef comme un vulgaire fromage sous une cloche qu'on fait tinter. Il y passe, par une ouverture, un doigt, une main, un poignet. Il en sort encore tel Diogène découvrant une faille à son tonneau. On le ramène une nouvelle fois à l'ordre pour une dernière vérification. La brute enfin apparaît, masques en bataille, les bras chargés d'une tunique adéquate, couverture « ultime » pour la victime dont on espère bien qu'elle a compris définitivement...

Ce jeu glacé jusqu'aux os, ce cérémonial mécanique, deux comédiens italiens Claudio Remondi et Ricardo Caporossi le revendiquent entièrement dans un moule théâtral qui tient à la fois de l'architecture et de la bande dessinée. Architecture puisque aussi bien ce terrorisme aveugle se déclenche dans un espace rigoureusement organisé. Ces lois de l'inhospitalité dont on devine les arcanes, « Sacco » les déroule avec le souci évident de renoncer au pathos, à la dérision, voire au comique. Le spectateur est sans cesse en porte-à-faux face à cet étrange objet balisé d'aussi étranges rapports dominant-dominé. Nulle psychologie n'en vient davantage pervertir la logique intransigeante, celle d'une réflexion essentielle sur la condition humaine. Bien légère toutefois parce que le langage ainsi utilisé ne renvoie jamais qu'à lui-même : une panoplie stérile et redoutable de prétention qui ne laisse finalement qu'un arrière-goût d'abstraction forcenée et de surenchère esthétique.

Jacques Doll

C'est à Jacques Doll que Dekmine avait confié le soin d'ouvrir une seconde partie qui, tout au long de cette semaine, verra défiler formations et groupes aux préoccupations musicales divergentes.

Un gentil garçon Jacques Doll, trop tendre — aux deux sens du mot —, qui se laisse embrigader dans des textes états d'âme et des langueurs de midinette. D'où cet hiatus entre un tempérament musical vrai, un jeu de guitare évident et des préoccupations thématiques besogneuses, voire boutonneuses.

A. DR.

Auteur André Drossart

Publication Le Soir

Performance(s) Sacco

Date(s) du 1976-10-05 au 1976-10-13

Artiste(s) Club Teatro di Roma

Compagnie / Organisation