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Le Living Théâtre de New York: qu'est-il devenu depuis 1969?



La Nouvelle Gazette

21-1-1977

Le Living Théâtre de New York : qu'est-il devenu depuis 1969?

Le Bread and Puppet, le Campesino de Californie, Ekaterina Sobechanskaya, Art Ensemble of Chicago, le Jeune Théâtre National de France, Zouc, et la Compagnie Pip Simmons.

Une saison anthologique à laquelle il manquait encore une affirmation : Le Living Théâtre de New York. Julian Beck, Judith Malina et les dix-sept membres du Living Theatre reviennent à Bruxelles, présentés par le Théâtre 140 aux Halles de Schaerbeek.

Après « Paradise now » que certains ont eu la chance de voir en 68 à Avignon et qui, dans le cadre classique du 140 rencontrait un public plus curieux que passionné, le Living repart aux Etats-Unis, puis prend le chemin du Brésil où ses membres témoignent contre le régime, comme ils font toutes choses, religieusement, défilant pacifiquement dans les rues de Rio. Et nous apprenons en 69 à Avignon, qu'ils viennent d'être incarcérés. Certains d'entre eux le seront pendant presqu'un an. Cette prise de position morale dans le monde était devenue le seul oxygène, l'unique préoccupation du Living Theatre. Rentré à New-York, le Living est momentanément dissout, puis se reforme à Brooklyn où le prix de la vie par rapport avec New York City permet le noyautage d'une vraie communauté, sans toujours vivre l'obsession de la rentabilité directe.

Le Living Theatre élabore patiemment dans le grand jardin de Brooklyn leur spectacle « La tour d'argent », sans jeu de mots, et une vraie tour énorme en bois se construit les étages ont valeur de symboles politiques, comme déjà d'ailleurs dans « Frankenstein ».

Ce spectacle, qui a été montré en animation dans de nombreux centres industriels aux Etats-Unis, est leur avant-dernière production et c'est avec celui-ci que le Living Theatre est venu vivre un an en Italie, comme dans les années 60 ils vivaient à Berlin.

« La Tore del denaro » joué en italien en Toscane, à Rome, maintenant à Naples, a fait un énorme succès de public mais on en a contesté la valeur artistique, sinon l'affirmation morale. Par contre, « Les sept méditations sur le sado-masochisme », leur tout dernier spectacle est considéré comme un Living de tout premier plan. Sans le grand déploiement matériel de la Tour. C'est celui-ci qu'ensemble, Julian Beck le théâtre 140 destinent du 25 au 30 janvier, aux Halles de Schaerbeek.

LE 140 ET LE LIVING THEATRE

Un pacte d'amitié. Une complicité qui ne reposait sur aucune charte. Intéressante précision : le Théâtre 140 entre dans la vie du Living Theatre lorsque celui-ci abandonne les voies du répertoire, les canevas du théâtre psychologique, car le Living, au départ, jouait le théâtre moderne traditionnel. Mais avec ce génie original qu'ils ont toujours développé dans la direction d'acteurs.

Il y a près de 15 ans, Paul Willems, actuel Directeur du Palais des Beaux-Arts les avait révélé à Bruxelles avec « The Connection », « The apple ».

« The brig » fut un merveilleux spectacle de transition. « Mysteries » création mondiale au « 140 », marquera définitivement la coupure.

Ces mêmes critiques qui avaient encensé le premier Living Theatre se posèrent des questions avec humeur. « Frankenstein » ensuite, qui avait les charmes de la superproduction mais toujours le même propos, les reconquiert. On eut droit à tout, les invectives puis les hommages. Puis il y eut « Antigone » et « Paradise now ». Puis une rencontre à New York. Et puis un coup de fil de Naples, Julian et Judith proposent au « 140 » leur dernier spectacle.

Les marxistes parlent de l'économie et du Capital. Le Living Theatre parle de l'Argent, auquel il donne valeur de symbole néfaste. L'argent qui est un mauvais dieu! Le veau d'or. L'argent, l'autorité, la violence, la propriété considérée comme une faute, la corruption de l'amour. C'est pourquoi dans « Mysteries » et « Frankenstein », le Living s'exprime à travers le cérémonial, la sacralisation des gestes. Mais leur dieu à eux, c'est l'homme et leur obsession proche de l'ascèse, une certaine notion du bonheur collectif.

LE MYTHE DU LIVING, SA REALITE

Le Living a influencé tout le théâtre contemporain, comme le Théâtre Laboratoire de Grotovsky. Trop de jeunes compagnies l'ont imité sans pouvoir ou l'intelligence. Le cérémonial du théâtre actuel, ils l'ont inventé, retrouvant en fait une respiration gestuelle très ancienne. Le Living a trop servi de point de comparaison « un peu comme le Living theatre »... Leur réalité, c'est la communauté de vie authentique, le réel partage, une troupe qui a d'elle-même les exigences d'une secte, d'une cellule.

Mais ce ne sont pas des « prédicants ». Nous sommes toujours au théâtre.

SEPT MEDITATIONS SUR LE SADO-MASOCHISME POLITIQUE :

CREATION COLLECTIVE

Voici le résumé d'intention du spectacle que nous propose le Living lui-même. Ce texte, les sept commandements du Living Theatre, c'est au fond leur morale et ils veulent à toute force nous la faire partager. Même si nous avons l'impression du « déjà lu quelque part », n'oublions jamais qu'ils ont été les pionniers de cette parole. Et ce qui nous manque en publiant ceci, c'est la symphonie des gestes, une théâtralisation des corps proposée sur un espace scénique de 7 m. de diamètre, déterminé comme à la craie :

la méditation porte sur la forme, nous sommes tous des esclaves et des maîtres,

aucun de nous n'est libre,

les instruments sont au centre,

le chant est enseigné par le Ganoua,

les magiciens, mendiants, esclaves de l'Afrique du Nord.

Chaque méditation a un titre et un texte:

Première méditation : méditation sur la domination et la soumission avec un texte sur la répression de l'amour sexuel.

Deuxième méditation : une méditation sur l'autorité avec un texte sur le gouvernement comme reflet de la relation maître/esclave.

Troisième méditation : une méditation sur la propriété avec un texte sur la propriété considérée comme meurtre.

Quatrième méditation : une méditation sur l'argent avec un texte sur le fallacieux système de l'échange qui aliène le peuple.

Cinquième méditation : une méditation sur la violence avec un texte sur la répression policière.

Sixième méditation : une méditation sur la mort avec un texte sur le capitalisme et la culture de mort.

Septième méditation : une méditation sur le changement révolutionnaire avec un texte sur la relation entre libération et anarchie.

Auteur

Publication La Nouvelle Gazette

Performance(s) [sept méditations sur le sado-masochisme politique: création collective]

Date(s) du 1977-01-25 au 1977-01-30

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre