Archives du Théâtre 140


Le Living Theatre aux Halles: alors Jésus Beck dit aux apôtres…



Le Soir

27-1-1977

Le Living Theatre aux Halles : alors Jésus Beck dit aux apôtres...

Après sept ans d'absence, la prison au Brésil, la dissolution à New York, la réunification à Brooklyn et un séjour en Italie, le Living est revenu, avec un transfert du « 140 », aux Halles de Schaerbeek. Le Living, le célèbre Living de Julian Beck qui avait ou allait, disait-on, bouleverser les fondements même du théâtre — et du reste? Ça, le Living Theatre? On a peine à y croire, telle est la consternation...

Ils pénètrent un à un, processionnellement, sur l'espace scénique tout autour duquel le public est agglutiné. Rouges et noirs jusqu'aux chaussettes — trouées : un certain misérabilisme oblige... S'asseyent en tailleur, les mains sur les genoux, jusqu'à former un cercle de treize adultes et un enfant, qu'ils ne briseront guère qu'à la fin du spectacle. Le silence est absolu, leur concentration aussi, apparemment. On hésite, entre le respect — s'ils méditent vraiment — ou l'irritation — et s'ils se moquaient de nous?

Las! Les voilà qui entonnent une mélopée qui ne s'arrêtera plus, et la lecture récitative — en français (mais pourquoi, quand ils ne semblent pas en connaître un mot?) — de la première des Sept méditations sur le sado-masochisme politique. Les dés sont jetés. C'est vers l'irritation que penche irrésistiblement la balance...

Pendant une heure trente, ces quatorze hommes et femmes d'une bonne volonté manifeste — c'est sans doute la seule concession qu'on leur fera, mais elle n'arrange rien — vont célébrer la messe des temps nouveaux. Leurs dix commandements à eux sont sept, sept « méditations » comme ils les appellent pudiquement, mais qui n'ont rien de moins dogmatique pour autant : sur la domination et la soumission, sur l'autorité, sur la propriété, sur l'argent, sur la violence, sur la mort, sur le changement « révolutionnaire » (?).

Alors Jésus Beck dit à ses apôtres : écoutez-bien car ceci est la bonne parole. Et de rétablir, ni plus ni moins, le rapport le plus traditionnellement autoritaire qui soit entre la scène et la salle, comme entre l'autel et les prie-dieu, où l'élu, grand détenteur de la Vérité, l'assène à grands coups de pioche sur le crâne des pauvres pécheurs!

Il y a des moments où la plaisanterie tourne à l'intolérable. Et qu'on ne vienne pas parler de dialogue ou de participation quand les comédiens, passant parmi les spectateurs, leur susurrent à l'oreille : « Suis-je ton esclave? »

Car si, par extraordinaire, ceux-ci tentent de répondre, il ne leur sera pourtant accordé qu'un « Je suis ton esclave! » avant de leur tourner le dos.

Et — sans vouloir engager une polémique du procès d'intention — qu'on ne vienne pas parler de grande cohérence purificatrice quand une séquence entière est basée sur l'affirmation que « tout travail payé est un travail faussé » et qu'on sait que le prix unique des places, aux Halles, est fixé à 250 F...

Ce ne sont ni la mièvrerie didactisante des textes, qui ont tout juste l'air de sortir du tract le plus primaire — sans même en avoir le « punch » —, ni le symbolisme grossier d'une théâtralisation au demeurant pratiquement inexistante, qui pourront conférer quelque couleur à ce Living livide.

On dira que ce n'est plus du théâtre. Bien sûr. C'est du rituel, du sacramental. Du sacré, pour tout dire, et c'est bien là que le bât blesse.

La nouvelle liturgie de l'amour et la mort selon les prophètes de Beck n'est plus le moins du monde ni fascinante, ni dérangeante. Tout au plus et seulement ennuyeuse, terriblement ennuyeuse...

CATHERINE DEGAN.

Auteur Catherine Dégan

Publication Le Soir

Performance(s) [sept méditations sur le sado-masochisme politique: création collective]

Date(s) du 1977-01-25 au 1977-01-30

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre