Archives du Théâtre 140


Aux Halles de Schaerbeek, 'Les 'méditations' du Living Theatre sur le 'sado-masochisme politique



La Libre Belgique

27-1-1977

THEATRES ET CONCERTS,

AUX HALLES DE SCHAERBEEK

Les « méditations » du Living Theatre sur le « sado-masochisme politique »

Où donc s'est aventuré l'aventureux Living Theatre? Plus question, en 1977, de retrouver la fascination communicative, la force d'impact d'une compagnie qui, de « The Connection » à « Paradise now », de « The brig » à « Mysteries » avait si bien su capter divers courants de la sensibilité contemporaine tout en marquant la dramaturgie moderne d'un sceau puissant, d'une empreinte personnelle.

Julian Beck et Judith Malina semblent à présent scier les branches et même le trône de l'arbre sur lequel ils s'étaient assis. Tout comme le pauvre Jean-Luc Godard dans le domaine de l'écran, ils creusent leur propre tombe en versant dans le discours, ou plutôt le balbutiement politique le plus élémentaire et le plus convenu.

Le spectacle qu'ils ont présenté dans la périphérie bruxelloise met en scène, si l'on peut dire, une douzaine de garçons et de filles, ainsi qu'un gosse, habillés de pulls, de « débardeurs », de velours, de saris rouges et noirs.

Assis en cercle ou tournoyant comme des derviches, ils musent, ils font claquer des chaînes de menottes en cadence d'une paume à l'autre, ils embrochent un des leurs sur des pieux et le soumettent à un simulacre de torture par secousses électriques; ils lisent tour à tour un « texte » (?) dont le niveau ne dépasse pas celui d'un tract électoral aussi généreux et naïf que démagogique et débile.

C'est une avalanche de lieux communs, une enfilade de slogans primaires. On y apprend que « les flics ont des matraques pour mutiler », que « chaque gouvernement est une bête sauvage qui dispose de prisons, ne consulte jamais les gens et agit par la force », que « les gens au pouvoir s'y maintiennent avec astuce », que « le capitalisme est un système de mort », que « la police et l'armée bouclent des continents, veulent avoir le dernier mot » et que « parmi les esclaves, il en est qui protègent leurs maîtres ».

Sont fourrés dans le même sac le Brésil, l'Uruguay, l'Algérie, Ceylan, la Turquie, l'Irlande du Nord, l'Iran, l'Irak, nommément cités parmi la cinquantaine de pays où, pour le Living, la liberté est un leurre.

Sans doute la politique conditionne-t-elle de plus en plus les mécanismes de la planète, mais en prétendant dénoncer cette contamination, le « Living Theatre » pêche fondamentalement par une singulière pauvreté illustrative.

Ne parlons même pas du « fond », où la critique aurait beau jeu de relever les outrances unilatérales d'un « engagement », l'ennui d'un cours du soir, l'esquisse d'un pamphlet où l'on enfonce tristement des portes ouvertes. Le contenant ne vaut pas mieux que le contenu. La forme brille par son absence de style. A moins qu'une veillée scoute, quelques reptations, une paraphrase des « Bourgeois de Calais » puissent revendiquer un quelconque cachet artistique.

Voici donc un ramassis de clichés dont le théâtre maoïste hésiterait peut-être à utiliser, une longue lamentation qui traîne depuis Job sur son fumier, d'assommants prédicants non sortis du digest des petits bréviaires subversifs. La mort du « Living ». Ou tout au moins son crépuscule. Ce n'est gai pour personne. Comment en un plomb vil...

J.P.

Auteur J.P.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) [sept méditations sur le sado-masochisme politique: création collective]

Date(s) du 1977-01-25 au 1977-01-30

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre