Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140, 'The Dream of the Ridiculous Man' par la Pip Simmons Company



La Libre Belgique

18-2-1977

AU THEATRE 140

« THE DREAM OF THE RIDICULOUS MAN »

par la Pip Simmons Company

Jusque samedi, la Pip Simmons Company présente au Théâtre 140 un spectacle intitulé « The Dream of the Ridiculous Man » (Le rêve de l'homme ridicule). On y retrouve les admirables et originales qualités dramatiques du saisissant spectacle sur les camps de concentration nazis (« An die Musik ») qu'on a pu voir la saison dernière, mais cette fois on se sent plus libre d'apprécier l'esthétique de la représentation, l'affreuse réalité du sadisme et de la souffrance n'interférant plus dans le plaisir théâtral.

« The Dream of the Ridiculous Man », déjà joué à Paris, Londres, en Allemagne, etc., avec un succès énorme, met en scène un jeune homme « ridicule », qui porte en son coeur une pureté ingénue et des rêves merveilleux, et qui se trouve perpétuellement confronté avec un monde ricanant, grotesque, médiocre, agressif. Sur ce thème de Dostoievski, à qui une partie du texte est d'ailleurs emprunté, Pip Simmons a réussi à rendre « sensible au coeur » un univers à la fois caricatural et humain, vivant et stylisé, absurde et tragique, bouffon et émouvant.

Ce pourrait être désespérant, mais ce ne l'est pas, tant le personnage de l'Homme ridicule est campé avec tendresse et humour. S'excusant perpétuellement de vivre, attiré par toutes les lueurs, se cognant à tous les murs, il est tenté de se suicider. Son double « viril » espère de Dracula du rock, monté sur des échasses cloutées, l'aide à se donner la mort. Il se retrouve dans un paradis-Tahiti minable de music-hall, avec ses palmiers de carton-pâte, ses chansons commercialement sirupeuses, ses femmes bêtement lascives; il croit atteindre le bonheur, mais tout s'écroule - rêve ou réalité? - dans un mélange où la vulgarité est violence et la violence vulgarité.

Ce spectacle, d'une simplicité aussi fascinante que l'inventivité qui l'anime, seuls des Anglais pouvaient le réaliser: des Français auraient politisé le propos, cérébralisé la parabole, clarifié par la logique l'éruption sauvage de la vie vraie où rien n'est jamais défini ni définitif. Comment oublier l'entrée de Dracula échassier; l'errance de l'Homme ridicule, en chemise de nuit, bonnet de nuit, une chandelle à la main; la façon dont il referme lui-même le couvercle de son propre cercueil; les colombes blanches qu'il recueille des mains d'une trapéziste de bazar; sa crucifixion de son espérance et de son innocence? Comment surtout oublier Roderic Leigh qui prête à l'Homme ridicule, ses yeux d'enfants, sa silhouette fragile, sa bouleversant vérité?

Tout cela est accompli avec des moyens « ridicules » - financièrement parlant -, mais si justement choisis et si intelligemment utilisés par des comédiens si extraordinaires qui chantent, dansent, parlent, jouent de divers instruments, que très vite on est subjugué par la beauté, la finesse, la rigueur et la folie du spectacle. Si la poésie n'est pas la beauté au sens où l'entendait Lamartine, mais telle que la voyait Rimbaud, si la poésie est aussi Dostoievski ou Kafka parce qu'elle est ébranlement de ce qu'il y a de plus caché, de plus obscur, de plus authentique, alors ce spectacle est poétique, parce qu'en cet homme « ridicule » on rencontre un homme vrai, et que chacun de nous, en lui, peut se reconnaître.

J.F.

Auteur J.F.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) The Dream of the Ridiculous Man

Date(s) du 1977-02-15 au 1977-02-19

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Pip Simmons Company