Archives du Théâtre 140


Au 140, 'Le rêve de l'homme ridicule'



La Dernière Heure

18-2-1977

« Le rêve de l'homme ridicule »

Psychédélisme, beau rêve pas tout à fait doux, faut-il le dire, dès l'instant qu'il y a du Dostoievsky et du Pip Simmons dans l'air.

Cela signifie que par ce mélange détonnant, l'on va se livrer à tous les excès, casser son verre à la slave et se dénuder sans considération de sexe comme dans le terrible « An die Musik ».

Pip Simmons donne assurément au conte de Dostoievsky une dimension supplémentaire, incroyablement visualisée, où s'articule sans vergogne le kaléidoscope de nos rêves. Un pauvre morveux va se tirer une balle au cœur de ses fantasmes ramollissants pour rencontrer sa « ennième » puissance qui l'invite à se laver de toute grisaille, à mourir à lui-même pour renaître sous la peau d'un personnage libéré, tout paré d'extravagance, extirpant de son inconscient, chansons, musiques et compagnie.

Pour très belle et fort bien jouée qu'elle soit, la musique nous semble avoir les défauts de sa sympathique jeunesse, nous voulons parler de tonitruance crève-tympan. La nouvelle génération aime que les décibels montent au-delà du seuil critique, quoi d'étonnant puisqu'elle est née dans le tintamarre de notre civilisation hypermotorisée?

Notre homme ridicule rêve donc à toute force et tout y passe, répétons-le, de la mort à l'érotisme, du blasphème à l'évangile en passant par la croix pustulée d'ampoules électriques que porte notre somnambule ; ne dit-on pas qu'en chacun de nous, il y a l'étincelle divine? Quant à l'érotisme, s'il nous sert copieusement la nudité masculine autant que féminine - les femmes apparaissent en portejarretelles noirs - nous le trouvons chaste parce que sans la stratégie des approches qui font toute la différence.

Pour ce qui est du jeu des acteurs, il est de toute grande classe. Le spectacle se veut total et il n'usurpe pas son titre, les comédiens sont aussi musiciens et acrobates, ils dansent admirablement et certaines figures nous ravissent par leur vertu chorégraphique. Tout circule sans heurts dans ce trafic effervescent de spots, de sourires et de chair vive.

Les noms de cette explosion de talents : Roderie Leigh, Ben Bazell, Rod Beddall, Shiela Burnett, Peter Jonfield, Chris Jordan, Peter Oliver, Emile Wolk et Meirave Gary. Oui, le spectacle « dostoïevien » est anglophone - « The dream of the ridiculous man » - mais la langue n'est guère un obstacle, l'image parlant avec combien d'éloquence. C'est notre insignifiance à chacun qui nous est balayée à coups de trompette et de danse et de tonitruance ; faites l'amour et non une dépression, conclurait-on.

Il est indéniable que cette pièce a de la poigne, vous saute au visage et, par moment, porte un tel souffle, une expression d'une envergure telle que l'on est loin de la somnolence banlieusarde d'un petit théâtre.

V.L.

Auteur V.L.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) The Dream of the Ridiculous Man

Date(s) du 1977-02-15 au 1977-02-19

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Pip Simmons Company