Archives du Théâtre 140


Emma Santos



La Dernière Heure

4-3-1977

Au Théâtre 140

Emma Santos

Il se passe quelque chose dans ce théâtre, quelque chose d'émouvant en ce sens que l'humain s'y déploie quasi librement de toutes ses forces comme dans toute sa faiblesse. On dira que c'est on ne peut plus le rôle du théâtre par essence. Bien sûr, à cette différence près cependant que l'on a le sentiment d'être en prise directe sur l'homme à l'instant précis de son drame.

Dans le cas qui nous occupe,le spectacle fut aussi vrai que nature ; Emma Santos nous propose mieux que son art en un « one-woman-show », elle se propose, elle, et nous livre toute sa matière vibrante, son cerveau palpitant, elle écrit sous nos yeux sur les plages de notre peau et de nos nerfs. C'est une folle dans la vie comme sur les planches, à moins qu'elle polarise tous nos manques, toutes nos mesquineries, tous nos dégoûts et fasse oeuvre donc de super-lucidité, de sonnerie d'alarme au milieu de notre torpeur déodorante. Nous plongeons dans le monde impossible de la vérité en révolte qui disloque l'être, l'éparpille aux quatre vents pour crime d'appartenance à une espèce honnie.

A elle toute seul, Emma Santos fait le spectacle, se donne en pâture, remarquable, douée, écrivain, auteur de livres tels que « L'Illulogicienne », « La Malcastrée », « La Loméchuse », « La Punition d'Arles », « J'ai tué Emma S. ».

Claude Régy a fait la mise en scène avec le même mérite qu'il eut à nous donner du Marguerite Duras ou du Nathalie Sarraute. Il sait ce qu'il fait en montant ce spectacle singulier, sinon nouveau, où un cas pathologique s'expose, s'exhibe de long en large, affiche la couleur dans la gamme sombre de la folie. Il aurait pu faire appel à une comédienne de métier, mais aux premières tentatives, Emma Santos reprit son texte pour le dire elle-même et elle eut pleinement raison ; outre qu'elle a du talent, elle n'en rajoute, pas pour en faire mieux encore, peu lui chaut. Tour à tour faiblard et vibrant comme la vie, ce théâtre n'est pas non plus photographique, puisque le drame se conjugue au présent, sans intermède en chambre noire. Sur la trame d'un texte, la personne revit son histoire, la sienne propre après cinquante séances de psychothérapie, après ses hantises sexuelles et sulcidères, après ses potions de mots, ses mots-miracles, ses mots antispasmodiques « écrits avec le vent », « de sang qui s'en va en fumée », ses mots de solitude, solitude, SO-LI-TUDE... La plainte se prolonge comme celle du loup hurlant à la lune.

La salle écoute ce soliloque avec respect, peut-être aussi avec l'angoisse qui naît au bord du gouffre et l'effroi que nous rend le miroir de notre angoisse.

A voir, pour cérébraux cherchant à aller toujours plus avant dans le besoin de savoir.

R.V.L.

Auteur R.V.L.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) -

Date(s) du 1977-03-01 au 1977-03-06

Artiste(s) Emma SantosClaude Régy

Compagnie / Organisation