Archives du Théâtre 140

La Libre Belgique

20-4-1977

« Adam et Eve » à les mode de Brno…

L'humour tchèque existe, je l'ai rencontré... Non seulement avec le brav' Soldat Sveik, les « Petites Marguerites » ou « Les Amours d'une Blonde », mais encore avec le « Divaldo Na Provasku ». Importée en Belgique via le Festival de Nancy, cette jeune compagnie de Brno justifie son déplacement et mérite à coup sûr que l'on aille à sa rencontre au Théâtre 140. Le rire est garanti. Le sourire aussi. De 7 à 77 ans, comme dit la formule, et sans qu'il soit besoin de posséder la langue de M. Dubcek.

Sous l'œil inquiétant de deux sbires en smoking étroit - le genre de gars qui vous passeraient les menottes pour un « da » pour un « niet » — un garçon et une fille jouent à réinventer le monde de l'innocence, celui d'Adam et Eve préservés de toute corruption. Lui, c'est une sorte de Jean-Pierre Cassel funambule revu par Jerry Lewis diplômé ès-gaffes. Elle, une mignonne à couettes, ressemble à Victoria Chaplin. Il flotte dans un pardessus kaki dix fois trop ample, elle dans une robe à ramages champêtres. Selon la bonne tradition du cirque, ils ont le nez éclairé d'une boule de celluloïd plus écarlate que le pif des buveurs de Bourgogne, tandis que leurs pieds s'entrelacent dans des godillots pointure 84.

Des clows? Sans doute, mais ce serait trop simple. Bosleslav Polivka et Dagmar Blahova savent explorer toutes les arcanes du métier d'amuseur. Ils empruntent aux équilibristes, aux mimes, au cirque, au café-théâtre, à la caricature expressionniste, au théâtre de vaudeville, aux gagmen que furent Langdon et Keaton au temps du cinéma muet. Peu d'accessoires : seulement deux armoires distinctes qui leur tiennent lieu de maisonnette avec un cœur et qu'ils relient par une planche-passerelle sur laquelle bien des cabrioles auront lieu.

Ne citons pas les gags, très au point, et parfois improvisés en cours de représentation : ils fourmillent, ils prennent leur temps plus qu'ils ne crépitent, ils peuvent être inégaux mais toujours inattendus, surtout dans le registre tendre. Le trait est tantôt délibérément appuyé, tantôt d'une grande finesse. Une once de méchanceté se dilue dans un climat de loufoquerie. C'est la cour de récréation de l'école : Adam et Eve pirouettent, singent les adultes, font le pied de nez aux obséquieux, désobéissent avec délectation. Voici, bel et bien, le grand jeu de l'enfance au pouvoir, au grand dam des tontons grondeurs. Sous filigrane, peut-être, des allusions politiques, lisibles au second degré.

Au moment où le Théâtre en noir de Prague accuse une baisse d'inspiration, nous l'avons dit, « Divadlo Na Provasku » surgit à point nommé pour prendre le relais et nous rappeler que l'humour est enfant de Bohême...

J.P.