Archives du Théâtre 140


Adam et Eve, au Théâtre 140: on est tous des clowns…



Le Soir

20-4-1977

Adam et Eve, au théâtre 140 : on est tous des clowns...

Lui, l'homme au gros nez rouge, c'est Adam. Il a un grand manteau trop large et des souliers qui vont en grandes pompes taquiner le « 52 » fillette. C'est un clown? C'est un clown... Elle, la femme au petit nez rouge, c'est Eve. Elle porte les cheveux en couettes et se chausse chez le même fournisseur qu'Adam. C'est une clownesse? C'est une clownesse.

Voilà comment les Tchèques de la troupe Divadlo Na Provasku voient notre père et notre mère à tous. Comme s'ils sortaient d'un grand cirque. Ce qui n'est pas bête si l'on en juge par ce que le monde est devenu. En prime, Adam et Eve sont flanqués de deux majordomes, sortes de bureaucrates comme on les redoute dans les pays de l'Est (et chez nous donc!) et qui symbolisent le serpent qui tentera ces clowns au cœur pur avec de la boisson, des cigarettes et autres colifichets de la société de consommation.

En un mot : c'est adorable. Comme un vent de fraîcheur sur la scène du théâtre 140. Le clown Adam, surtout, est superbe. Ses clowneries brisent la forme du plan traditionnel de la pantomime, il effeuille ses gestes comme d'autres une marguerite, une poésie ou une fille. Il va, il vient, se plie, bondit, affronte des gouffres qui n'existent que pour lui. Il dit un poème avec son corps. Ou plutôt, non : il vit un poème avec son corps. Avec Eve, il forme un couple qui va du rire à l'attendrissement.

Mignon, mignon... Un peu trop même. Ces mignons-là, on aimerait parfois qu'ils flanquent quelques bons gnons avec la cruauté des vrais clowns de chapiteau qui leur fait un peu défaut. On aimerait qu'armés d'une technique gestuelle aussi exceptionnelle, ils nous en disent un peu plus. Sur le plan du fond, on reste sur sa faim. Même si la fin du spectacle est forte d'une belle leçon : quand on galvaude son innocence, on perd son nez rouge et ses habits de clown (la preuve? Regardez autour de vous, c'est plein de gens qui n'ont pas un nez rouge taillé dans une balle de ping-pong!).

Je m'en veux un peu d'insister sur le manque de thèmes de ce spectacle presque sans paroles. Je m'en veux car ces artistes tchèques nous apprennent que, tous, nous descendons du clown. Et ça... ça réchauffe le coeur.

LUC HONOREZ.

« Adam et Eve » est joué au 140 jusqu'au 22 avril.

Auteur Luc Honorez

Publication Le Soir

Performance(s) Am e Ea [Adam et Eve]

Date(s) du 1977-04-18 au 1977-04-22

Artiste(s) Divadlo na Provasku

Compagnie / Organisation