Archives du Théâtre 140


Kiss Salomé, au 140: du tutu (presque) pour Oscar Wilde



Le Soir

28-4-1977

Kiss Salomé, au 140 :

du tutu (presque) pour Oscar Wilde

Curieuse pièce que cette « Salomé » qu'Oscar Wilde concocta à la fin du siècle passé.. Pochade, on ne sait trop si son auteur en a fait volontairement un exercice d'étudiant facétieux et surdoué. Drame lyrique, on ne sait trop non plus si son dramatisme vrombissant est à épingler au seul lot d'une sollicitude et d'une volonté esthétique extrêmement située dans son temps.

D'où une pléthore d'interprétation, plausibles, et même des réajustements musicaux calibrés dont Strauss fit ses choux gras et que la cantatrice Anja Silva rendit délectables pour d'aucuns, détestables pour d'autres.

Ces mystères-là, Oscar les a emportés dans une tombe que la compagnie hollandaise Kiss vient de s'empresser récemment de rouvrir pour nous en faire découvrir les charmes acidulés et les « monstruosités »... Depuis mardi soir donc, sur la scène même du théâtre 140, c'est à une véritable décadence des sept voiles que nous convie Jean-Pierre Voos et ses ouailles.

Hérode joue les freluquets enfiévrés de passion dont les tibias sont aussi transparents que ses désirs et que Salomé fait tourner en bourrique, tous appas affûtés.

Jokanaan ressemble à s'y méprendre à un pithécanthrope. Le pelage semble garanti d'origine et le message en est tout aussi providentiellement biblique.

Voos s'est voulu astucieux en confiant à la même interprète le rôle bicéphale, ce qui est peu dire, d'Hérodias et de Salomé d'une nudité rageuse et impressionnante malgré l'ondulation des tulles qu'on croirait découpés dans des gravures d'Aubry Beardsley, qu'il faut tout de même citer pour mémoire.

Vous voici frottés dans un symbolisme de pacotille, avec ses affres, ses tics et ses persévérances, dans une mentalité de premier degré à tout prix. Le décalage opéré par la Kiss Company est à ce point délicat et d'une dérision si fragile qu'on en viendrait même à suspecter son propos sans cette toile de fond décorative signée Michel Dussarat, où les colonnes du temple ont l'apparence de totems montés dare-dare par une marchande d'allumettes et où les tutus, enfin ce qu'il en reste, n'ont pas dû faire de récentes visites chez le blanchisseur. Un signal à tout le moins précis que les volutes d'encens et le son lancinant du gong rendent plus « historiques » encore.

Pièce sur le désir, « Salomé » dans sa version rotterdamoise laisse pourtant à désirer côté interprétation et même la danse des sept voiles, ce burlesque avant la lettre, n'est sûrement pas ajustée par Cécil B. de Mille. On égratigne le lyrisme, on surmène les passions, on émascule l'érotisme, et

finalement on ne sait plus très bien à quels seins se vouer, encore que ceux de Jephe Goudsmit n'aient rien de négligeable.

Curiosité donc que cette pièce d'un auteur anglais, écrite en français, revue et corrigée par Marcel Schwob et Pierre Louys, traduite en anglais par Alfred Douglas, aujourd'hui assimilée par cette troupe rotterdamoise et aboutissant dans une commune F.D.F…

ANDRE DROSSART

Auteur André Drossart

Publication Le Soir

Performance(s) Kiss Salome

Date(s) du 1977-04-26 au 1977-04-30

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Kiss Company