Archives du Théâtre 140


'140' An 15: l'humour français, 'Cricot 2' et un itinéraire qui va des Pouilles au Zaïre



Le Soir

16-9-1977

« 140 » An 15 : l'humour français, « Cricot 2 » et un itinéraire qui va des Pouilles au Zaïre

Un Jo Dekmine en grande forme — mais on en a l'habitude — ça n'est jamais mauvais à prendre. Quand de surcroît le soleil se fait insistant à l'occasion d'une de ses conférences de presse, on se dit qu'il y a sûrement, quelque part, de la connivence dans l'air.

C'est donc en plein air que mercredi midi le directeur du Théâtre 140 a fléché quelques-uns des spectacles d'une prochaine saison qui débutera d'ailleurs en fanfare dès ce mois de septembre — octobre et novembre se révélant plus que copieux — importants. Conférence de presse rassérénée dans sa stratégie, d'une virtuosité verbale époustouflante où le mot, pourtant, ne l'emporte jamais sur la chose à dire, à vérifier, à classer. Il y a chez Dekmine cette plausibilité constante dans l'imagination, cette force sereine que possède la folie du risque quand elle n'a que sa seule folie pour se défendre. C'est fort bien ainsi. Analyse prospective du phénomène théâtral en Belgique, aveu de puissance mais non de confort, inquiétude et impatience devant les tics du public ou les retards des média, cette causerie sur le pouce sait prendre parti. Elle sait aussi prendre son plaisir. On n'exagère pas.

Le Belge va au spectacle comme il achète un terrain dans les Ardennes

Pour Dekmine en effet le théâtre ne concerne pas le public belge. « En dehors des mille cinq cents personnes immédiatement concernées, le public belge va au spectacle comme il achète un terrain dans les Ardennes. En dehors des restaurants et des grands événements de music-hall, il ne bouge pas de chez lui, préoccupé par une télévision qui se croit investie d'un rôle démagogique par référence à dix vieux messieurs qui n'hésitent pas à écrire quand les programmes ne leur conviennent pas.

Pourtant la Belgique et Bruxelles ont prouvé qu'elles étaient capables de recevoir certains événements dans la nervosité. L'an dernier, Campesino, le Bread And Puppet, les Macloma, Zouc, Annegarn, le Pip Simmons, Divaldo na Provasku, Spider Women. En dehors des grands festivals internationaux, il y a peu d'exemples d'un tel groupage de spectacles représentatifs du théâtre actuel dans le monde. »

Sa prochaine saison, Dekmine l'a axée sur trois dominantes. Ce qu'il intitule la révolution de l'humour français au théâtre. Ensuite un théâtre musical à caractère violemment ethnologique, marqué par les racines d'un peuple précis, des Pouilles au Zaïre en passant par le tango argentin. Enfin, […] théâtre-image, théâtre-action, théâtre-objet qui a aujourd'hui dépassé le stade expérimental pour entrer dans l'histoire : Tadeusz Kantor et le Cricot 2 de Cracovie. Meme Perlini et le Teatro della Maschera de Rome : des visionnaires de l'angoisse.

Rire égale question

Mil neuf cent septante-sept - 78 sera donc marqué par ces cafés-théâtres que Paris, Nancy ou Avignon propulsent chaque année par les chansonniers. Mais pourquoi les « Jeanne », le « Café de la Gare », le Centre dramatique de Nanterre ne seraient-ils pas justement les chansonniers de l'époque?

« Regard sur les choses et les gens, rire égale relativisme, poésie saugrenue, ange du bizarre. Rire égale délivrance. L'impertinence est française, elle est brillante par vocation. Le rire n'est pas un muscle, c'est un langage. Romain Bouteille le pousse à la dialectique, Jérôme Savary livre joyeusement les arts au pilon, les « 4 litres 12 » ne sont graves que dans le rire. Les « Jeanne » ont pris le parti de rire pour ne pas pleurer, ce qui n'est pas précisément leur genre?

Boulevard est mort ou alors il a resurgi d'un autre théâtre qui n'a pas encore vendu son âme.

Vocation musicale

Et la musique? Elle sera présente partout. C'est sûr, dans le théâtre et même dans les concerts. Avec Philip Catherine, Piazzola, le Cuarteto Cedron, Ernesto Rondo, Quilapayun, Bernard Lavilliers, Beaudommage, Zachary Richard, Raoul Duguay. B. B. King, Gentle Giant, Steve Lacy, et tous ceux qui, en cours de saison, viendront s'intercaler dans un programme impossible à bâtir à l'avance.

Evidemment les pôles de cette saison sont le Théâtre Vaudou des Pouilles, des élèves en architecture à Florence, découverts par le Bread and Puppet, le Cricot 2 de Cracovie avec « La classe de mort » un des spectacles contemporains les plus importants que nous ayions vus. Aussi « La Caravane aboie, le chien passe » par le théâtre des Amandiers et « Locus Solus » par le Teatro della Maschera, ainsi qu'un très impertinent « Café de la Gare » dans « Une pitoyable mascarade ».

Pour les lycéens

Dekmine se préoccupe également « des lycéens, des collégiens, des athénéens, des classes de poésie et de rhéto, des modernes et des écoles professionnelles, dont il se demande s'ils vont encore au théâtre en dehors de la musique, surtout lorsqu'ils ne sont pas des manches à balle... »

Une saison qui s'annonce... avec laquelle Dekmine voudrait toucher ces « gens qui, parce qu'ils n'étaient pas dans la salle, ne savent rien de l'événement qui s'est produit dans leur ville. »

Quelques dates déjà

• Philip Catherine : 22-9.

• Gentle Giant : 27-9.

• Groupe musical du Zaïre! du 4 au 6-10.

• Les Jeanne : du 11 au 16-10.

• B. B. King : 18-10 à 19 et 22 h.

o Steve Lacy, John Tchicai : 25-10.

• « La terre du remords », par le Théâtre des Pouilles : du 26 au 30-10.

• Cuarteto Cedron : du 3 au 5-11.

• Cricot 2 : du 8 au 12-11.

• Théâtre des Amandiers : du 14 au 18-11.

• Teatro délia Maschera : 18 et 19-11.

• 4 Litres 12 : du 23 au 26-11, etc.

ANDRE DROSSART.

Auteur André Drossart

Publication Le Soir

Performance(s)

Date(s) 1977-09-16

Artiste(s)

Compagnie / Organisation