Archives du Théâtre 140


Théâtre polonais aux Halles de Schaerbeek, 'La classe de mort' de Tadeusz Kantor par le Criquot 2 de Varsovie



La Cité

9-11-1977

Théâtre polonais aux Halles de Schaerbeek

"La classe de mort" de Tadeusz Kantor

par le Criquot 2 de Varsovie

Le Théâtre 140 présente aux Halles de Schaerbeek un spectacle très attendu. Il s'agit de « La Classe de mort » de Tadeusz Kantor par le Cricot 2 de Varsovie.

De vieux débris humains assis sur les bancs d'une école, un maître énigmatique — Tadeusz Kantor lui-même — qui a des gestes brefs comme pour ordonner le cérémonial grinçant, une « balayeuse » mégère qui est une image de la mort, un soldat de la première guerre mondiale et des poupées qui, tantôt sont installées sur les bancs de l'école relayant les personnages vivants ou plutôt les zombies, tantôt forment avec ces derniers d'étranges excroissances ou attelages : tel est le matériau de cette « Classe de mort » où l'image est souveraine et où la musique a la primauté sur la parole.

Le spectacle, vaguement inspiré d'une œuvre de Witkiewicz, déborde toutes les significations que l'on en pourrait donner, car il charrie un nombre incalculable de signes et de symboles qui renvoient aux fantasmes et archétypes aussi bien personnels que collectifs. On peut seulement dire que cela évoque les danses de mort moyenâgeuses comme la peinture de Jérôme Bosch. Le grotesque et l'obscène y ont leur place, mais intégrés dans un ensemble inspiré du théâtre de la cruauté d'Antonin Artaud. « Créer des mythes voilà le véritable objet du théâtre, traduire la vie sous son aspect universel immense, et extraire de cette vie des images où nous aimerions à nous retrouver » : cette phrase du « théâtre et son Double » s'applique assez bien au spectacle de Tadeusz Kantor.

C'est dire que le spectateur de « La Classe de mort » doit renoncer à tout esprit cartésien pour s'abandonner à un cérémonial qui tient de la magie noire, de l'incantation, de la lamentation. Spectacle sulfureux et morbide qui agit sur les nerfs plus que sur l'intelligence, mais dont le rituel est ordonné avec une redoutable logique de l'absurde. C'est indiscutablement fascinant. Il y a des images poignantes comme celle où les personnages se débarrassent des poupées en les jetant pêle-mêle dans un coin, évocation cruelle des camps de la mort nazis.

Théâtre de la dérision où même l'objet est « dénaturé » et où les comédiens-objets tiennent leur « rôle » avec une rigueur singulière dans la démesure.

J'avoue que je n'ai éprouvé cette fascination que de manière intermittente. Le pari est ici trop difficile pour être soutenu durant toute la soirée et il y a trop de répétitions dans cette « Classe de mort » pour que notre attention soit constamment sollicitée. Il n'en reste pas moins que le Théâtre 140 nous aura révélé une fois de plus une troupe et un spectacle qui constituent un témoignage important de cette sensibilité contemporaine dont le pessimisme et l'angoisse débouchent sur des visions d'apocalypse. Nous vivons les terreurs de l'an 2000...

J. L.

Auteur J.L.

Publication La Cité

Performance(s) Dodenklas

Date(s) du 1977-11-08 au 1977-11-12

Artiste(s) Cricot 2Tadeusz Kantor

Compagnie / Organisation