Archives du Théâtre 140


La Classe de mort aux Halles: un cauchemar de choc



Le Soir

9-11-1977

La Classe de mort aux Halles : un cauchemar de choc

Ils sont là, assis sur des bancs. Comme des restes d'enfance vomis par une mémoire qui en aurait tant et tant vu. Ils sont vêtus de noir, cravatés comme pour un enterrement, certains portent un chapeau melon étriqué. On dirait des personnages de Magritte rongés par les vers. Quand ils s'agglutinent où se lèvent lentement, on dirait un monument aux morts dont les personnages sculptés seraient devenus fous. Avec leur maquillage pâle et défait, ils sont comme autant de Soldats Inconnus sortis du tombeau pour clamer que la mort est aussi absurde que la vie.

La classe est immobile. Elle va vivre grâce aux gestes du metteur en scène polonais Tadeusz Kantor qui, d'un doigt de chef d'orchestre, anime l'un ou l'autre acteur de la troupe du théâtre Cricot 2 (Cracovie).

Il y a la balayeuse qui est aussi la mort, la femme derrière une fenêtre qui se sépare du monde, le petit vieux qui veut aller aux toilettes, le petit vieux qui ne se sépare pas du vélo de son enfance, la prostituée somnambule, etc... A ces comédiens viennent se mêler des poupées. Qui est vivant? Qui est de cire et glacé? Impossible de le dire. Ils sont tous des lambeaux de vie personnelle ou d'histoire qui sent la poudre et le sang, tous comme des boutons de la grande chose sans queue ni tête qu'est l'existence, ils sont des gestes absurdes et quotidiens. Tous mêlés, ils y vont d'un ballet absurde, rythmé par une valse triste ou par le bruit funèbre d'un berceau qu'on balance. C'est un cauchemar, c'est un couche-mort.

Impossible de vraiment décrire un tel spectacle dont tous les moments sont des chocs qui auraient pu être dessinés par un Topor qui prendrait le pseudonyme de Tomor, spectacle qui est comme sculpté sur une glaise composée par les interprètes du Cricot 2.

Courez voir La Classe de mort; elle vous met l'asticot de l'intelligence dans la tête. Quand les lumières se rallument, les spectateurs applaudissent : certains d'entre eux savent déjà que la prochaine classe de mort, la vraie, finalement, ce sont eux...

LUC HONOREZ

Ce spectacle est présenté aux Halles de Schaerbeek par le Théâtre 140.

Auteur Luc Honorez

Publication Le Soir

Performance(s) Dodenklas

Date(s) du 1977-11-08 au 1977-11-12

Artiste(s) Cricot 2Tadeusz Kantor

Compagnie / Organisation