Archives du Théâtre 140


Le Théâtre 'Cricot 2' aux Petite Halles de Schaerbeek



La Dernière Heure

15-11-1977

PREMIERE

Le Théâtre « Cricot 2 » aux Petites Halles de Schaerbeek

La classe de mort

Disons-le tout net. Depuis que nous sommes en contact avec le théâtre - et cela ne date pas d'hier - nous n'avons jamais subi une secousse aussi violente et aussi prolongée dans ses répercussions métaphysiques et même physiques qu'après avoir vu (avec frisson et passion) le spectacle présenté par le théâtre polonais « Cricot 2 » aux Petites Halles de Schaerbeek.

Certes, le décor quelque peu misérabiliste de l'endroit ajoute à la fascination du propos et les personnages symboliques de la classe de mort : la balayeuse comme le pion, la femme derrière la fenêtre comme le petit vieux aux W.C., le petit vieux au vélocipède ou la prostituée somnambule se livrent à des blagues de potaches. « Incidents lamentablement et douloureusement dénudés, verts et boutonneux pudiquement tus par les adultes » et qui, au demeurant, sont d'autant plus dérangeants et éprouvants quand ils sont illustrés par la vieillesse retournée sénilement à l'enfance.

Les vastes hangars pour nous se sont peuplés un instant de gros rats venant remuer avidement les loques et les tas de vieux papiers maculant à la fois les corps et le décor de la tragédie dérisoire jouée devant nous, œuvres sursitaires de l'école de la finalité propre à tous les êtres humains. Et ce n'est pas réjouissant, mais hallucinant. On ne peut se détacher de l'absurde existentiel de la caricature qui nous est jetée en plein visage. Mais cette caricature illustre justement le monde concentrationnaire et pas seulement celui des nazis, mais également celui que beaucoup d'hommes et de femmes, hélas, portent en eux.

Le ballet des « zombies » dont un chef d'orchestre discret, caché derrière les habits dérisoires d'un maître d'école, assure diaboliquement les sonorités, a quelque chose de repoussant et de follement attirant à la fois.

Aux petites Halles de Schaerbeek, grâce à ce talent extraordinaire de découvreur de Jo Dekmine du « Théâtre 140 » (parrain du spectacle), nous sommes conviés à voir de nos propres yeux la pourriture de l'humanité souffrante danser et pérorer devant nos yeux.

Chaque tableau, ou plutôt chaque séquence, est gravée dans les clairs-obscurs avec un burin. L'expressionnisme est, ici, à l'avant-plan. Cet expressionnisme germanique et slave mélés, celui qui a fait la fortune de Marlène Dietrich et des plus angoissés des écrivains polonais.

Pour corser le tout, Chopin déferle en vagues romantiques sur une vision qui pue le cadavre et qui pourtant est bien notre destin, car nous sommes tous en 1977 devant les « Pouvoirs » des zombies plus ou moins en sursis.

Dès lors, la séance dramatique de Tadeusz Kantor nous concerne tous.

A.V.

Auteur A.V.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) Dodenklas

Date(s) du 1977-11-08 au 1977-11-12

Artiste(s) Cricot 2Tadeusz Kantor

Compagnie / Organisation