Archives du Théâtre 140


'La caravane aboie, le chien passe', par les Farceurs de Nanterre



Le Soir

17-11-1977

« La caravane aboie, le chien passe », par les Farceurs de Nanterre

De sales gosses? Pas vraiment. Les cinq comédiens de Nanterre qui, depuis lundi soir, prennent d'assaut les tréteaux du Théâtre 140 trempent leurs chemises avec pétulance et espièglerie. Pour sûr que cette récréation intempestive et comme arrachée de force à la morosité des choses qui, de surcroît, s'intitule La caravane aboie, le chien passe, exige de leur blanchisseur une profusion d'enzymes gloutons.

Nous voici en présence d'un théâtre de bateleurs, juvénile et ahuri, catapultant pendant plus de deux heures une centaine de lazzis frétillants et naïfs pour les uns, pour les autres d'une gravité qui n'a pourtant rien de philosophique. En guise de tremplin, une multitude d'archétypes populaires, du genre « le bon, la brute et le truand » où fourmillent portraits et événements aux images de marque plus ou moins esquissées : le savant fou, le géant, le prêtre retors, le redresseur de torts, le cogneur des prairies, l'Indien scalpeur, Noé et son arche, la Méduse et son radeau.

Au vrai, il y en a tant de ces modèles qu'on finit par les oublier tous pour ne retenir de ce fourmillement que l'image apoplectique d'une hydre à cinq têtes qui prendrait volontiers son pied.

Car nous voici retombés dans une enfance qui rejette moribonds et gâteux, hache menu toute tentation d'asphyxie, chahute avec une insolente sérénité, pour se donner accès à toutes ces choses pas mortes, guillerettes, guindaillantes, voire croquemitaines. Joyeuse transfusion de sang frais que cette opération de mise au vert.

Il y a chez ces cinq garnements, fort jeunes on l'aura deviné et à peine sortis du Conservatoire de Pierre Débauché, un tel souci de l'aventure qu'ils préfèrent ne pas se cacher d'avoir emprunté au métier une foule de connotations scéniques ou d'attitudes toutes faites. Ainsi, ils ne s'embarrassent d'aucun préjugé, voire d'aucun plagiat et ils pataugent dans le show business avec des hardiesses de jeunes loups, des irrévérences de sans-grade, des ôte-toi-de-là-que-je-m'y-mette qui pourraient même à la limite prêter à confusion.

Les Frères Jacques et Rep se retrouveraient en eux, mais les gens du Café de la Gare aussi. Et Savary peut-être. Allez savoir. Et puis, la commedia dell'arte n'est-elle pas de tout âge, actionnée qu'elle est sur des modèles volontiers boutonneux, voire rudimentaires?

Le spectacle est scandé par un quarteron de musiciens — à l'étage — fort correct, pavoisé de ballons multicolores et sans cesse investi par une foule d'accessoires qui vont du poussin mécanique au bandonéon en passant par une table d'opération, des plumes, des bulles, des battle-dress, un écran pour tortillard de banlieue, des poignards, des épées, tout un douteux bazar où les rêves les plus échevelés se donnent libre cours, n'exigeant en échange que des délires plus désorganisés encore.

La mise en jambes, lundi soir, fut peut-être longuette. Mais une deuxième partie plus rageuse et davantage personnalisée nous rassura sur l'issue de la série bruxelloise. Le chien put passer à son aise.

ANDRÉ DROSSART.

Auteur André Drossart

Publication Le Soir

Performance(s) La caravane aboie, le chien passe

Date(s) du 1977-11-14 au 1977-11-18

Artiste(s) Les Farceurs

Compagnie / Organisation