Archives du Théâtre 140


Aux Halles de Schaerbeek, 'La Locomotive Folle', de S. Witkienwicz



La Libre Belgique

25-11-1977

THEATRES ET CONCERTS

Aux Halles de Schaerbeek

« La Locomotive Folle », de S. Witkienwicz

Inévitablement, le spectacle « La Locomotive Folle » appelle des comparaisons avec la sublime et passionnante « Classe de Mort », présentée voici peu aux Halles de Schaerbeek également. L'auteur, Witkiewicz, n'est-il pas le père des deux pieces? Malheureusement, l'illustrateur n'est plus cette fois Tadeusz Kantor, le prodigieux animateur du théâtre « Cricot 2 », de Cracovie; la réalisation est assurée par une troupe française, « Quatre Litres Douze », de Nancy, qui, en dépit de toute bonne volonté, rencontre moins, forcement, le sens du grotesque, l'amère dérision et le tragique foncier propres à Witkiewicz, comme aux grands auteurs polonais.

Figurée par un ring, avec un pourtour de cordages et un coin encombré de tuyauteries, la « Locomotive » dont il est question est, en fait, un compartiment de chemin de fer de jadis, une « patache », comme on disait alors. S'y embarquent six voyageurs, trois hommes et trois femmes : des pantins qui se bousculent, s'agitent à propos de tout et de rien, débitent des inepties à répétition, lancés dans un voyage qui va agir sur eux comme un détonateur, aviver leurs passions, susciter des haines.

La parabole du visionnaire polonais est claire : ce train, c'est un microcosme, un radeau de la Méduse, où la faune humaine est raillée pour ses ridicules, ses inconséquences, son absurdité, ses œuvres perverses. Le voyage, c'est la vie; une vie stupide, pleine de bruit et de fureur, ne signifiant rien. Vaut-elle la peine d'être vécue? A peine, semble répondre le pessimiste et suicidaire Witkiewicz.

Bien « drillée », composée d'artistes méritants, la troupe nancéenne commet cependant trois erreurs qui oblitèrent son travail. Elle pèche d'abord par un dessin trop approximatif des différents caractères mis en présence; ensuite par un excès de criailleries superposées durant plus d'une heure; on a beau se dire qu'un voyage en groupe, en train, en avion, en diligence ou en bateau suscite toujours de l'énervement, de l'effervescence, cette description de l'énervement finit par énerver, d'autant que de trop rares pauses sont ménagées : tout est comme raboté, monocorde, sans « respiration »; un halètement perpetuel qui lasse très vite. On est plus proche de la caricature, un peu courte, que d'une symbolique. C'est dommage, car, répétons-le, la compagnie a certainement mis beaucoup de zèle dans son entreprise. « La Locomotive Folle » dans les limites que nous avons dites, peut donc intéresser les passionnés de théâtre et les inconditionnels de Witkiewicz. Le spectacle se joue jusque samedi.

J.P.

Auteur J.P.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) "La Locomotive folle; Concerto"

Date(s) du 1977-11-23 au 1977-12-03

Artiste(s) 4 Litres 12

Compagnie / Organisation