Archives du Théâtre 140


Au 140, '4 litres 12 in concerto'



La Libre Belgique

2-12-1977

THEATRES ET CONCERTS

AU 140

« 4 litres 12 in concerto »

Un présentateur en habit élimé, pantalon mal taillé, chapeau boule fatigué, s'avance sur scène. Brusquement, il se met à débiter un flot intarissable de phrases en volapuk ou en patagon, où affleurent des accents de ces « langues du spectacle » que sont le polonais (théâtre), l'italien (opéra) et l'anglais (show business). Avec aussi des mots de français clairement distincts ceux-là : « Belle soirée d'automne », « Théâtre 340 » et surtout et toujours « 4 litres 12 in concerto » (prononcez « hîîîn concerto »).

Venue de Nancy, cette jeune compagnie « 4 litres 12 » qui a déjà monté des pièces de Witkiewicz et Gombrowicz, était au 140 pour montrer un spectacle tout à fait original. Original car ce concerto, pour le plus grand plaisir du spectateur, ne va pas bien se dérouler du tout. Tandis que le présentateur chef d'orchestre, qui finira en un halluciné « Ludwig Van » s'obstine à introduire son groupe, la troupe, en catimini, apparaît : une cantatrice vamp avec des fleurs balnches, une fifille fololle en baby doll qui n'arrête pas de glousser, une intellectuelle à lunettes un peu complexe (et obsédée), qui promène partout ses révérences de petite fille sage, un ahuri à chapeau melon et casque d'aviateur, smoking et raquette de badminton au genou, un charmant barbichu manière avec gants gris et canotier. Leurs instruments sont des plus saugrenus : brouette, guidon, gourde vissée à une trompette, pommeau de douche, etc.

On a compris : tout va glisser dans le délire le plus drôle, baigner dans un humour des plus corrosifs et salutaires. Car ce spectacle qui a fait rire la salle comble du 140 presque en permanence, peut également donner à réfléchir.

Les gags se succèdent. Telle en feux d'artifices ininterrompus sinon superposés, la baguette du chef d'orchestre qui croît, jusqu'à atteindre plusieurs mètres, au fur et à mesure que son autorité décroît. Tels ces « artistes » qui, jouant leur coquette essayent chacun de se placer au mieux prés des projecteurs. Telle cette cantatrice vamp qui balançant sa jambe sur le record de la scène finit, alpiniste dingue, par descendre dans la salle, où toute la compagnie la rejoint. Tel ce musicien qui ne peut, ignoré par le chef, participer au concert et finit par chanter « Strangers in the night », ce qui lui vaudra l'adulation la plus délirante de tous les autres musiciens.

Pas un temps mort, un spectacle que l'on ne peut expliquer mais qu'il faut vivre, une logique de l'absurde poussé jusqu'au bout : voilà un concerto (raté) à ne pas manquer. La compagnie 4 litres 12 a choisi ses références chez Antonin Artaud : « Le théâtre contemporain qui est en décadence parce qu'il a perdu le sentiment d'un côté du sérieux et de l'autre du rire (...) Parce qu'il a perdu le sens de l'humour vrai et du pouvoir de dissociation physique et anarchique du rire ».

Nous ajouterons d'autres références : la rubrique à brac de Gotlib, en bande dessinée, les défunts « Raisins verts », de J. C. Averty, en télévision, les meilleurs films des Marx Brothers, au cinéma. « 4 litres 12 » est encore au 140 jusqu'au 3 décembre. Ne le ratez pas.

Mais pourquoi avoir programmé Denis Van Hecke (violoncelle branché) et Félix Simtaine (percussions) après ce concerto? Et avoir fait de ces (excellents) musiciens, des « musiciens d'humour »? Leur drôlerie, dix fois moins percutante que celle de 4 L 12, fait dés lors un petit « flop ». Dommage.

P. Sb.

Auteur P. Sb.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) "La Locomotive folle; Concerto"

Date(s) du 1977-11-23 au 1977-12-03

Artiste(s) 4 Litres 12

Compagnie / Organisation