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'The Last Poets' au Théâtre 140: l'Amérique des griots



Le Soir

17-12-1977

« The Last Poets » au Théâtre 140 : l'Amérique des griots

Suljaman El Hadi, Jalaluddin Mansur Surridin, Jamal Abdus Sabur et Abu Mustapha, quatre noms aux résonances musulmanes dont, à première vue, on ne peut vraiment prétendre qu'ils éveillent autant d'échos que celui de Mohamed Ali.

Comme lui pourtant, ils sont Noirs américains. Comme lui encore, ils assument, via le ghetto new-yorkais, leur authenticité africaine en général, musulmane en particulier. La comparaison s'arrête là : Car ses militants du « Black Muslim » ont une idée moins tapageuse de leurs racines, mais quand ils les revendiquent, à travers des textes rageurs, c'est probablement avec une foi tout à fait vérifiable.

Préoccupations politiques

Qu'est-ce qui a donc fait courir ces sept cents personnes, jeudi soir, au Théâtre 140? Les échos particulièrement flatteurs qui nous étaient parvenus de la prestation des « Last Poets » au Festival d'Automne à Paris? Il y a gros à parier que la promotion intensive du concert, assurée par la R. T. B, n'est pas étrangère à l'immense succès remporté par ce concert, une production on le sait, la première d'une série, de « Radio-Crocodile ».

Une heure et demie, c'est la durée d'une prestation exemplaire, répartie en deux parties, elles-mêmes composées chacune de quatre longs textes où les préoccupations politiques du groupe passent sans cesse au premier plan.

Dans un style narratif percutant ou hargneux, voici donc que deux voix prennent tout à coup la mesure de leurs propres rythmes pour propulser des propos catégoriques, des prises de position décidées qui touchent aussi bien à la pilule, au « jardin des délices », à la guerre du Vietnam, à la condition noire qu'à l'hyper-mécanisation internationale. Ces textes, une basse et des congas, viennent s'en faire les alliés inconditionnels, question de les frapper encore davantage, de les sonoriser avant de les mouler dans une formule incantatoire qui procéderait de l'hypnotisme n'était cette véhémence qui n'est jamais que le lot de ceux qu'on a beaucoup outragé.

Les quatre compagnons en viennent ainsi à prendre leurs distances avec des formules comme le gospel ou le rhythm'n blues. Car si les mots décollent, jamais ils ne sont chantés. On leur confère simplement des intonations, des fluctuations, des rythmes qui sans cesse rappellent ceux des griots africains. Lancinance des répétitions, léger décalage narratif d'une voix à l'autre dans un choeur volontairement abimé qui ne fait que souligner les aspérités sonores ou, à l'inverse, renforcent la mélopée.

A vrai dire, on retrouve chez les « Last Poets » l'exacte doublure des prophètes noirs africains capables de tenir en haleine un auditoire conquis pendant des heures. Seule fonctionne alors la magie du verbe, la tonicité des voix et la persuasion individuelle sous le martèlement obstiné des percussions. Ceux qui, jeudi soir, attendaient le célèbre « New York, New York », en furent pour leurs frais. Les « Last Poets » ne sont pas gens à faire des concessions même si leur concert bruxellois payait en quelque sorte leur récent voyage à La Mecque.

ANDRE DROSSART.

Auteur André Drossart

Publication Le Soir

Performance(s) [poésie sonore des musulmans de New York]

Date(s) 1977-12-15

Artiste(s) The Last Poets

Compagnie / Organisation