Archives du Théâtre 140


'Ubu roi' et 'Ubu enchaîné' revus par Peter Brook



La Dernière Heure

2-6-1978

« Ubu roi » et « Ubu enchaîné »

revus par Peter Brook

En première partie du spectacle, une Mère Ubu extraordinaire de faconde, un Père Ubu, plein de présence, bien que peut-être pas assez costaud pour le rôle, est-ce suffisant pour que l'on puisse parler d'un spectacle réussi?

Et ce, d'autant plus que si « Ubu roi » d'Alfred Jarry conserve malgré les années une certaine authenticité et une réelle causticité sociale, le « Ubu enchaîné » du même Alfred Jarry, écrit quelques années plus tard, est une bien pauvre pièce, à peine digne en 1978 d'un patronage. On ne fait qu'y enfoncer des portes ouvertes et ce avec les outrances d'un collégien en mal d'écrire sa première œuvre.

Le « Centre international de créations théâtrales », patronné aux Halles de Schaerbeek par Jo Dekmine et René Praile, n'est pas arrivé à insuffler à ses comédiens une « transcendance » suffisante pour parvenir à dépasser la médiocrité du texte et du sujet.

Il est vrai que la seconde « Mère Ubu » n'a pas le coffre de la première.

Pour notre part, nous considérons que le spectacle réalisé dans la mise en scène de Peter Brook est un demi-échec ou, au mieux, un demi-succès.

Pourquoi? Il y a plusieurs motifs. Le premier est que les responsables du spectacle se sont refusés à admettre que dans la grande verrière des Halles l'accoustisque est plein d'échos et au quatrième rang, déjà, dès qu'un comédien tournait le dos (ne fût-ce que à demi) au public, il était impossible d'entendre ce qu'il disait.

C'est aussi grave et même inadmissible vis-à-vis du texte, vis-à-vis des comédiens et vis-à-vis du public.

Deuxièmement, on se lasse des mises en scène « pauvres », qui tournent à l'excuse d'un manque d'imagination. Ce ne sont pas les quelques « clowneries », assez démagogiques d'ailleurs, faisant parfois rire un public facile qui permettent de découvrir une nouvelle dimension à une œuvre archi-connue. A cet égard, il semblerait que la mise en scène de Peter Brook vouée au misérabilisme du décor et à l'art de la « loque » dans son sens premier du terme et non régénéré par une vision esthétique, soit responsable (en grande partie) du malaise qui s'installe et qui empêche un public pourtant peuplé d'inconditionnels d'applaudir avec spontanéité.

Troisièmement, Toshi Tsuchitori à la batterie ne fait pas preuve d'une imagination délirante, c'est le moins qu'on puisse dire. Or « Ubu roi » demande une expressivité totale, baroque si possible. On a oublié que le canular, le non-sens doivent déboucher sur une vision... ubuesque, c'est-à-dire sur un dépassement imaginatif. Et hélas, on nous propose un théâtre froid, disons même un théâtre de l'insignifiance. Le résultat est qu'il ne reste plus (nous exagérons volontairement) qu'un « merdre » pour tenter de scandaliser un public qui, depuis Jarry, en a vu bien d'autres.

Néanmoins, nous nous souviendrons toujours avec bonne humeur du spectacle présenté aux Halles grâce à Michèle Collison (la première Mère Ubu), et aussi, mais à un degré moindre pour le souffle que manifeste Andréas Katsulas, dans « Père Ubu. »

En seconde partie, Miriam Goldschmidt nous a paru un peu dépassée par l'espace géant des Halles et sa « Mère Ubu » est friable.

A.V.

Auteur A.V.

Publication La Dernière Heure

Performance(s) Ubu

Date(s) du 1978-05-30 au 1978-05-31

Artiste(s) Peter Brook

Compagnie / Organisation