Archives du Théâtre 140


Au Théâtre 140, Promethée Changed par le Living Theatre de New York



La Libre Belgique

8-12-1978

AU THEATRE 140

PROMETHEE CHANGED

par le Living Theatre de New York

En suivant l'interminable Prométhée changed que le Living Theatre interprète au 140 (jusqu'à ce samedi inclus), le spectateur a l'impression de feuilleter ses souvenirs.

Quinze ans bientôt, déjà, que, sur cette même scène de l'avenue Plasky, Julian Beck et Judith Malina livraient Mysteries à un public intrigué, voire inquiet. Un « choc » indiscutablement. Allaient suivre, au même 140, The Brig, Frankenstein, Antigone, Paradise now et, voilà deux ans, aux Halles de Schaerbeek, Les sept Méditations.

Revoici l'illustre compagnie — expression dont l'académisme sied mal au Living! — dans les murs de la capitale, avec Prométhée changed, spectacle écrit et mis en scène par Julian Beck et Judith Malina.

C'est l'évocation du Révolté, cousin de Zeus, que l'homme interroge sur la souffrance et le pouvoir, tandis que l'on assiste à l'inexorable domination de la science sur la nature.

Joué en anglais (avec des passages en français au second acte), le spectacle comporte — dans l'enceinte du théâtre -deux longues parties fort différentes de ton, sinon d'esprit. Dans la première, nous retrouvons le Living traditionnel qui n'impressionnera plus que la nouvelle vague de spectateurs : ce ne sont que reptations, chœur criant, mouvements hystériques à la queue leu leu. Une gymnastique de commande qui, voici douze, treize ans, électrisait le public. Aujourd'hui, habitué à ces rites sans surprises, le spectateur venu du froid suit, avec un sourire entendu, ces rugissements, ces cabrioles et ce bavardage pseudo-philosophique sur la condition humaine.

Cette évocation du titan qui offrit le feu à l'homme nous vaut d'apprécier la troupe « au naturel », puisque les acteurs l'interprètent intégralement nus. Ainsi, pendant plus d'une heure, assiste-t-on aux pérégrinations de Tarzans accrochés aux lianes métalliques d'un décor tubulaire qui rappelle celui de Frankenstein des années soixante. Des Tarzans-pensants qui semblent ignorer la Pandore nue qui, tout l'acte durant, se contorsionne derrière les barreaux de sa cage, semblable aux captives de l'Alain Robbe-Grillet de L'Eden et après. Ces nudistes rageurs, aux accents pathétiques (et involontairement drôles) ont beau se démener, s'époumoner : on les suit l'œil froid, l'esprit ailleurs. Tout ça sent le déjà vu. Après s'être condamnés à l'ascension dans l'audace, les membres du Living ont, depuis longtemps, franchi l'ultime échelon. Après avoir tant dit, le Living - phénomène théâtral lié à la fièvre des années 60 — devrait avoir l'intelligence, le courage de s'effacer, de se taire, à l'instar d'un Samuel Beckett.

Le deuxième acte propose une évocation satirique de la Révolution russe, prolongation du mythe de Prométhée par la mise en accusation des nouveaux dieux qui firent (et font) le lit de la Liberté sur un tapis de sang.

A la tête de l'opération — véritable hara-kiri du Living - Julian Beck, saisissant sosie de Lénine. Appel est ici fait au public, gentiment invité à s'intégrer au spectacle pour incarner bolcheviks, ouvriers, anarchistes, pacifistes tolstoïens, terroristes ou soldats de l'Armée rouge...

Pendant trois bons quarts d'heure, cet atelier théâtral improvisé répétera la prise d'assaut du Palais d'Hiver. Si les figurants d'un soir semblent s'amuser et se prendre au jeu, le public ne peut s'empêcher de trouver le temps long. On aurait préféré ne pas voir cette mascarade franchement simpliste, tant cette orientation vers la dérision traduit l'essoufflement du tandem Beck-Malina.

Ceux qui virent en eux, à juste titre, des phares du théâtre d'après-guerre, en auront mal au cœur. Si la générosité, la poésie subsistent ci et là, au compte-gouttes, la magie s'est envolée. Si le feu couve encore, le frisson a pris froid. Vit-on le Living, ou voit-on son cadavre?

Signalons que la troisième partie de ce spectacle — réservé à un public averti - se déroule, en principe, aux abords d'une heure du matin, devant... la prison de Saint-Gilles où les spectateurs sont invités à rejoindre les membres du Living pour une méditation silencieuse sur le thème : « De quel crime, au juste, sommes-nous punis quand on nous punit? »...

Fr. M.

Auteur Fr. M.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Prometheus Changed

Date(s) du 1978-12-04 au 1978-12-09

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre