Archives du Théâtre 140


Le Living Theatre au 140



Le Soir

9-12-1978

Le Living Theatre au 140

Le Living Theatre..., avec ses mêmes qualités, ses mêmes défauts. Le choc en moins pourtant. Car il est difficile d'être une légende et de le rester, d'empêcher le spectateur de se rappeler « Antigone », « Frankenstein », « Ridiculous », ces œuvres de très « livingesque » mémoire. Comme celle de Jérôme Savary et de son Magic Circus, la troupe de Julian Beck n'« étonne » plus et si elle catalyse encore c'est surtout au niveau du divertissement.

Le bon. Quelques images flamboyantes, une façon de faire crier le corps et de faire de la voix une mime, l'œil et le nez d'aigle de Julian Beck, une utilisation tous azimuths de la scène et de la salle, des trouvailles et une tonalité d'ensemble parfois envoûtantes.

Le moins bon. Du bavardage, beaucoup de bavardage. Une philosophie qui se plaît à mêler le bric au broc; une pensée très lâche et qui s'aime un peu trop; des moments d'ennui à faire se mutiner les marins du cuirassé Potemkine; un spectacle beaucoup trop long (si on le suit jusqu'au bout, on en a jusqu'à une heure du matin).

Beck en Lénine

Le premier acte, celui qui montre le mythe de Prométhée, est dans la tradition du Living. Quelques tubulures. La scène, dépouillée de ses oripeaux, est mise à nu; le mythe de l'homme qui vole le savoir est restauré dans sa matérialité brute une trouvaille : une sorte de grand tuyau d'où sortent les personnages; un procédé cher, déjà, au réalisateur Benno Besson.

Le deuxième acte surprend plus. S'amusant à composer un Lénine détaché et ironique, Julian Beck demande à une cinquantaine de spectateurs de monter sur scène et de jouer la prise du palais d'hiver à Léningrad après une répétition avec la troupe du Living (répétition qui dure près d'une demi-heure bien fastidieuse pour ceux qui sont restés dans la salle!). Ce n'est pas toujours réussi. Mais, soudain, en finale, sur l'air de L'Internationale, il y a un élan irrépressible et communicatif... Souffle aussi dans tout cet acte un salutaire vent de dérision secouant les pouvoiristes (comme il y a des carriéristes) et les violeurs de liberté de quelque bord qu'ils soient.

Bousculé entre la symbolique, le plaisir ludique et les moments où irrésistiblement il pense à autre chose, le spectateur aimera ou n'aimera pas, participera ou se détachera; à aucun moment, il ne ressentira cet électrochoc que Julian Beck, Jupiter de l'égalité, faisait descendre dans sa tête il y a dix ans.

Comment, à propos de ce spectacle, intitulé Prométhée, ne pas citer Bernard Dort, théoricien français du théâtre, qui écrivait: « Car de deux choses l'une : ou un théâtre d'avant-garde réussit auprès du public, c'est-à-dire que celui-ci l'accepte, et le dramaturge en devient vite le prisonnier, son œuvre étant alors réduite à justifier ce public; ou ce théâtre ne réussit pas, et le voilà qui tourne à vide : théâtre de la Cité sans Cité, bientôt théâtre de provocation qui ne provoque plus personne, simple grimace ».

Le Living Theatre se trouve à ce carrefour-là...

Où l'on tombe d'accord, pourtant, avec la pensée de Julian Beck, c'est quand il fait courir dans tout son Prométhée cette phrase : « Le secret de la vie, c'est la liberté. Et le secret de la liberté, c'est le courage ». A lire et à relire...

Tous à la prison de Saint-Gilles!

Le troisième acte est un happening... Au soir de la première, Julian Beck a invité les spectateurs à quitter le théâtre 140 pour se rendre devant la prison de Saint-Gilles et y manifester silencieusement.

Est-ce cela le courage? Cette petite action sans risque, prolongement d'un spectacle assez confortable transformant en décor de théâtre le vrai et terrible problème de l'univers carcéral, m'a semblé aussi mondaine que le Champagne à l'entracte. Certains parleront de petite démagogie en commentant ce happening. Moins sévèrement, on peut penser que voilà une manière bien facile de se donner bonne conscience.

Vers 1 h 30 du matin, comme il faisait froid, comme il y avait une petite faim dans l'air, la centaine de spectateurs présents ont quitté le trottoir de la prison de Saint-Gilles. La révolution (tendance Plasky) était terminée.

LUC HONOREZ.

Jusqu'au 9 décembre au 140; le 12 décembre au Sart-Tilman (Liège).

Auteur Luc Honorez

Publication Le Soir

Performance(s) Prometheus Changed

Date(s) du 1978-12-04 au 1978-12-09

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre