Archives du Théâtre 140


Ce 'Living Theatre' tant discuté



Le Drapeau Rouge

13-12-1978

Ce « Living Theatre » tant discuté

Le « Living Theatre » vient de passer quelques jours en nos murs. S'il ne suscite plus autant de passions que naguère, il continue à provoquer les discussions. Voici deux avis assez divergents

PAS GRAND-CHOSE

« Que devient le "Living Theatre"? », se demandait l'autre jour « Le Drapeau Rouge ». Pas grand-chose, serait-on tenté de dire après le dernier spectacle de la troupe de Julian Beck et Judith Malina présenté au Théâtre 140 à Bruxelles. Voici remises sur le métier les provocations bavardes, les gesticulations variées — parfois agréables — avec d'intéressants contrastes entre le nu intégral et l'habillement sommaire. Voici à nouveau le mysticisme à l'eau de rose qui caractérise la démarche du « Living ». « Prometheus changed », c'est bien entendu le mythe de Prométhée, la révolte contre les dieux, mais aussi Octobre 1917 et, enfin, la prison de... Saint-Gilles. Lent, très lent spectacle que l'on peut considérer comme une « exploration poétique du mythe » (selon le programme) ou un ennuyeux pensum infligé par l'avant-garde la plus traditionnelle.

Alain PROVIEST.

TOUJOURS VIVANT

Le « Living », pour ceux qui ont aimé la révolte des jeunes Américains, pour ceux qui ont cru que quelque chose se passait en 1968, ce n'est pas seulement un théâtre, c'est un symbole. Ce n'est pas une équipe qui présente des spectacles pour les monnayer, c'est un groupe qui vit une expérience et qui tente de la transmettre au « public », si celui-ci marche, joue avec, participe.

D'où ma crainte, chaque fois que le « Living Theatre » revient en Belgique. Jusqu'où peut-on aller? Comment continuer une expérience, comment se renouveler? C'est avec cette peur inexprimée que je suis allé au « 140 » revoir la troupe de Julian Beck et Judith Malina. Et la seule chose qui m'a, d'une certaine manière, déçu, c'est le public. Non qu'il ne soit pas sympathique, mais il se divise assez commodément en deux catégories : les nostalgiques de 68 (y compris ceux qui étaient trop jeunes pour le vivre) et les autres, qui trouvent ces types d'expression et de communication « dépassés » ou « bons il y a dix ans ». Je dis que lorsqu'une partie de la jeunesse n'a plus pour seule préoccupation que de construire une carrière — ou trouver n'importe quel travail — ou essayer de se débrouiller dans la crise, c'est que la société est bien malade.

Revenons au spectacle. La première partie — en anglais — n'est pas aisée à suivre si on tient compte du bruitage, mais elle a des accents qui rappellent à la fois l'antiquité grecque et Shakespeare. Ce n'est pas « intellectuel de gôche »; c'est tout simplement une façon moderne de poser des questions sur le monde: la violence, l'amour, l'angoisse, le changement, le désir de progrès et le refus de l'emprisonnement. Et ce n'est pas interprété mais vécu.

La deuxième partie, c'est l'occasion de faire venir sur scène ceux « qui n'ont pas envie de rester dans leur fauteuil ». Un retour au « happening » en quelque sorte. Mais l'esprit de 68 est bien mort. Et les quatorze comédiens vont jouer symboliquement la prise du Palais d'Hiver en 1917, dans une certaine confusion.

S'agit-il d'un spectacle anticommuniste? Je pense que non. A partir de textes polémiques de l'époque, certes authentiques, on évoque les disputes du bolchevisme avec les anarchistes ou les tolstoïens. Et là, c'est simpliste. Mais il s agit d'un spectacle, non d'un congrès de philosophes (et je ne suis pas sûr qu'un congrès de philosophes serait plus serein).

Quant aux questions posées, personne, et surtout pas les communistes, n'a intérêt à les considérer comme nulles et non avenues. Le problème de l'Etat, la dictature du prolétariat, la priorité — ou non — de certaines réformes non économiques, comme la révolution sexuelle, ce sont des questions qui peuvent encore se poser demain et dont la réponse sera à porter au compte de la crédibilité du socialisme.

En fait, je ne reprocherai qu'une chose au « Living » : la durée du spectacle. J'ai d'ailleurs dû partir avant la fin. Mais je sais qu'à leur retour, toujours problématique, j'irai de nouveau, la même crainte aux tripes, revoir le « Living Theatre ».

Raoul LOMBARD.

Auteur Alain Proviest, Raoul Lombard

Publication Le Drapeau Rouge

Performance(s) Prometheus Changed

Date(s) du 1978-12-04 au 1978-12-09

Artiste(s)

Compagnie / Organisation The Living Theatre