Archives du Théâtre 140


Un Wedekind paroxystique par La Maschera de Perlini



Le Soir

10-5-1979

Un Wedekind paroxystique par La Maschera de Perlini

De bon gré ou non, il faudra bien, à propos de L'Eveil du printemps, de Frank Wedekind, que présente le Teatro La Maschera, de Rome, au 140, rouvrir ce vieux débat sur la fidélité des troupes aux intentions des auteurs.

En question, bien sûr, l'indicible violence de l'expressionnisme et du théâtre-document, de cette adaptation très libre, le parti pris d'insoutenable dans la mise en scène de Meme Perlini et dans le jeu de ses acteurs, les effets brutalement contrastés de la musique (tantôt absente, tantôt tonitruante, cacophonique et traversée de funèbres hurlements, sans nuance intermédiaire) et des lumières, qui alternent l'ombre totale, des a giorno éblouissants et la sèche géométrie des fameux « éclairages d'alerte » de Perlini. En cause, une certaine complaisance dans le paroxysme...

Le public, certes, ne vient pas à La Maschera en pantoufles, sûr de n'être pas « dérangé » — le mot clé! — dans ses opinions et sa sensibilité, même s'il est dommage de voir son adhésion ainsi forcée, par l'emphase et l'agressivité, face à une pièce dont le sujet est, autant que l'adolescence meurtrie, la liberté mutilée : comme si on déniait à ce public toute maturité, et le courage de voir sa propre douleur en face, à froid.

On sait aussi, par de précédentes productions du drame de Wedekind, que cette surcharge, cette rage sont justifiées pour dire le cri tourmenté d'un âge déchiré, moins ingrat que maltraité. Mais il y avait aussi, de cette détresse immense, à dire la fragilité et la tendresse poignante, limitées ici au seul rôle de Welda, l'innocente avortée.

Il y avait l'innocence justement, cette sensualité pleinement épanouie chez l'auteur, cette pure verdeur que l'âpreté du langage scénique occulte chez Perlini : fallait-il vraiment anticiper sur le Wedekind cynique et pessimiste de ses dernières pièces? Cette ferveur romantique, s'opposant furieusement à l'hypocrisie des éducateurs, faisait toute la tension du texte. Il n'en reste qu'un cauchemar unilatéralement désespéré, chargé de vains accès de fureur.

Plastiquement, pourtant, on ne reste pas sur sa faim : décors et accessoires sont remarquables, où les irruptions de l'absurde font de la place pour une beauté forte. La liberté du traitement fait que l'argument n'est guère aisé à suivre, incompréhensible peut-être sans quelques notions d'italien, mais le personnage central de Melchior garde l'évidence d'un magnifique numéro d'acteur, comme celui de Welda. Des mouvements d'ensemble bien réglés et la conviction de chacun assurent au spectacle son efficacité dans la déroute et la provocation. Rien ne manque, en somme, qu'un peu d'air frais...

DANIEL DE BRUYCKER.

Auteur Daniel De Bruycker

Publication Le Soir

Performance(s) L'Eveil du printemps

Date(s) du 1979-05-08 au 1979-05-10

Artiste(s) Teatro La MascheraFrank Wedekind

Compagnie / Organisation