Archives du Théâtre 140

La Dernière Heure

10-5-1979

Au Théâtre 140

« L'éveil du printemps »

(par le « Teatro La Maschera »)

Théâtre totalement en langue italienne et, cependant, pour un public francophone. Ce n'est pas un piège, le côté visuel, parlant suffisamment de lui-même, sauve la situation.

Les tableaux succèdent aux tableaux ; pas un instant de statisme, il y a toujours un changement de personnage et aussi de décors: une porte se déplace lentement... toute seule, une vieille dame pousse devant elle rien moins qu'un canon, un bureau se meut portant une jeune fille étendue de tout son long.

Atmosphère fellinienne recevant l'imaginaire à foison ; car tout est permis quand on rêve et point n'est besoin du code d'une langue quand on exerce une pareille volubilité, toutes images dehors. Et quand on emploie le mot « tout », cela veut dire sans détour aucun.

Cette troupe, on ne peut plus audacieuse, nous vient en droite ligne de Rome. D'un bras musclé qu'irrigue un sang italien, capable du meilleur et du pire, cette troupe renverse tous les tabous du Saint-Siège. De jeunes pensionnaires des écoles de la catholicité rigide, ouvrent leur manteau noir sur un corps complètement nu.

« L'éveil du printemps » représente en quelque sorte les problèmes que provoquent les premières montées de sève jointes à l'ignorance invraisemblable où les institutions laissent encore aujourd'hui les jeunes filles Italiennes en matières sexuelles. De là, peut-être, l'aspect traumatisé de la pièce.

Le thème - contestations-secousses sismiques-suicides - serait banal s'il n'était assorti de cette symbolique à la Fellini, à la Delvaux aussi, qui fait très bien savourer la pièce. L'œil est constamment sollicité et surpris par la verve de peintre surréaliste qu'est ou pourrait être Antonello Aglioti, complice de l'effervescent régisseur Meme Perlini.

Citons en vrac comédiens et musiciens, en pleine possession de leur art : Fiametta Paralla, Bettina Best, Ines Byass, Alessandro Genesi, Cristina Mannl, Valeria Melandrl, Massimiliano Mitia, Lidia Montanari, Claudio Botossa, Renzo Rinaldi, Vittorio Vitolo, Marco Massaccesi, Gianni Galloni, Anni et Pierre Narcisse.

Œuvre disparate, diront les méchantes langues, mais, tel qu'est, ce drame, vieux comme le monde, du papillon émergeant de sa chrysalide, de la jeunesse à la découverte de son corps, parle d'évidence. Il ne peut laisser le spectateur indifférent par le double pouvoir de la réalité sans fard et des lignes de force tracées, grandeur nature, d'après l'inconscient collectif traqué dans ses recoins les plus sombres.

Spectacle libre pour un public frondeur, voulant respirer à pleins poumons un vent de liberté, au travers du soupirail.

R.V.