Archives du Théâtre 140


Meredith Monk au 140: la voix est un acte pur



Le Soir

23-10-1979

Meredith Monk au 140 : la voix est un acte pur

Enoncé, démonstration, développement : Meredith Monk mène son concert comme l'initiation à un théorème. Et à bon droit : car ce qu'elle avance est si radicalement neuf qu'il fallait sans doute faire la preuve que ce fut simplement possible. C'est fait... et avec quelle grâce!

L'énoncé seul jette déjà les feux d'un pur cristal : avec une culture incroyablement diverse, la chanteuse explore les voix de la planète en un passionnant inventaire des techniques les plus élaborées : placement de la voix, sélection des harmoniques, jeux de timbres, dédoublement du phrasé, extrapolation de la mélodie, travail du souffle, autant d'apports brillamment assimilés. C'est un peu didactique, mais plein de fraîcheur aussi et très bref.

On passe à la démonstration : trois voix féminines autour d'un clavier (orgue ou piano) se superposent et se démultiplient en de savants canons sonores, creusant des profondeurs dans le champ d'une mélopée répétitive.

créant des perspectives où l'on entre à pas menus comme dans une église. Une note enfle ou s'étroit, change de couleur ou devient transparente, absorbe sa voisine ou ébauche une phrase, évoque un objet ou devient personnage. De frôlement en choc, chacune s'invente un langage inouï, propose un jeu, esquisse une image. Vertige...

Ensuite seulement apparaît le stade ultime d'un éventail vocal entièrement déployé. Trois voix d'homme, trois timbres distincts dépulant une mélodie unique, trois voix de femme qui ne font qu'une seule pour entourer la phrase d'arabesques détachées. Puis les six entrent dans le même jeu tapis profond où s'inscrit un motif en volutes. Trois voix contre trois à nouveau (mais on croit en entendre douze, ou soixante) cherchant de nouveaux rapports, d'autres espaces où laisser flotter le contrepoint, des dimensions supplémentaires.

Puis l'ensemble encore réuni, chacun perdant de loin en loin son individualité pour se fondre à un objet mouvant et lumineux, forme simple tournoyant dans une lueur aux folles diaprures, profondeur et durée se poursuivant en un chassé-croisé imprévisible. Le recul s'accentue encore et l'objet disparait, point de fuite lointain d'un ciel immaculé, où quelque chose pourtant n'en finit pas de se faire et de se défaire... Comme en un rêve, les dimensions s'estompent et les mouvements perdent leur continuité : subsiste un brouillard d'événements réglés par une cohérence ineffable…

C'est une musique qui ne se décrit pas, en prélude au festival d'un théâtre qui ne se raconte pas; le premier d'une longue série d'actes purs où les disciplines retrouvent leur virginité. Le Festival international de théâtre a commencé...

DANIEL DE BRUYCKER.

Auteur Daniel De Bruycker

Publication Le Soir

Performance(s) [concert]

Date(s) du 1979-10-19 au 1979-10-22

Artiste(s) Meredith Monk

Compagnie / Organisation