Archives du Théâtre 140


Le Festival international de Théâtre, au 140: 'Punto di Rottura' par l'Il Carrozzone de Florence



La Libre Belgique

29-10-1979

THEATRES ET CONCERTS

Le Festival international de Théâtre, au 140

« Punto di Rottura » par I'll Carrozzone de Florence

Un an après y avoir présenté ses « Vues de Port Saïd », revoici (jusqu'à ce lundi soir) la compagnie florentine II Carrozzone sur le plateau (agrandi) du 140 à Schaerbeek. On sait que, depuis sa création en 1972, cette troupe s'est taillée une solide réputation l'émotion brutale, que défend

au sein du théâtre de recherche où la concurrence ne fait pourtant pas défaut.

Après de premiers spectacles hermétiques, empreints d'ésotérisme, le Carrozzone (influencé par le théâtre oriental et par le Bread and Puppet) s'est orienté vers une politique exilant pratiquement le texte au bénéfice exlusif du spectacle, fondé sur le mouvement, le son et la lumière.

La parole est devenue visuelle et s'adresse aux sens; c'est un art non de la demi-teinte, mais de l'émotion brutale, que défend aujourd'hui l'Il Carrozzone qui semble estimer qu'un certain verbalisme est dépassé sur scène. On en apprend, il est vrai, par ailleurs, autant, sinon plus, sur la sensibilité de l'heure en feuilletant certains magazines illustrés qu'en déchiffrant les études, aussi documentées que rébarbatives, sur les dérapages (in)contrôlés du cœur et de l'esprit. Place donc à l'image!

Avec « Punto di Rottura » (point de rupture), nous sommes à une année-néon du théâtre à texte où s'alanguit l'âme et se déhanche le cœur. Décor : une jungle tubulaire, dominée par des échafaudages sur lesquels tapinent les « anges » de la nuit, et un réseau d'extenseurs retenant fauteuils, divans et le sommier d'un lit : objets auxquels les six comédiens-athlètes vont se lier, « se prêter » comme s'ils étaient leurs partenaires amoureux aux réactions mécaniques.

D'anecdote point. Simplement, ce flot très étudié d'images outrancières, provocatrices, suggère-t-il la vertigineuse cruauté d'une société perdant pied dans les sables mouvants du désespoir. Univers sophistiqué aux soleils internés dans des tubes fluorescents dévalent des rails de montagnes russes.

Les cris des acteurs y coulent à pic dans un torrent musical charriant du disco, des Stones, du David Bowie et des violonades pour western-spaghetti.

Les hommes? Des robots dont les gestes sont répétés jusqu'à l'usure; quant aux filles (lunettes noires, pantys roses et chaussures fétichistes), elles passent le plus clair du temps à s'administrer des gifles en se tirant par les cheveux...

Coloration néo-expressionniste donc, à forte tendance érotique (sado-masochiste) pour ce « Point de rupture » qui, par moments, évoque l'univers grotesque et cruel d'un Richard Lindner, et se nourrit des fièvres de la punktitude, des préciosités du nouveau dandysme, et de l'héritage pop d'un Andy Warhol (vérifiable dans les images retransmises sur quatre écrans vidéo : lèvres rubis découvrant machinalement des dents étincelantes, ou obsessionnels talons-aiguilles, véritables pilotis pour belles-de-nuit). Soudain, sur le mur-écran, cette frénésie gestuelle et sonore est adoucie par l'insolite apparition, en dias géantes, des pyramides. Dépaysement total : voici l'Histoire enracinée opposée à l'aujourd'hui convulsif. On songe au concert du Pink Floyd à Pompéï.

Un superbe collage en mouvement. Le luna-park des lucifers du dimanche. Mais avec ce spectacle brillant, stimulant pour l'imagination, le Carrozzone saute évidemment sur un train en marche plus qu'il ne progresse vers la recherche : son « Punto di Rottura » est la savante et saisissante illustration d'un néoromantisme pervers, écho intellectualisé du vénéneux Berlin des entêtantes années 20.

F.M.

Auteur Fr. M.

Publication La Libre Belgique

Performance(s) Punto di Rottura

Date(s) du 1979-10-27 au 1979-10-29

Artiste(s) Groupo Il Carrozone

Compagnie / Organisation