Archives du Théâtre 140


'Il Carrozzone' au 140: répétition d'un meurtre



Le Soir

31-10-1979

« Il Carrozzone » au 140 : répétition d'un meurtre »

Comme le spectateur gagne sa place, le spectacle est déjà à la sienne, occupant fragmentairement un immense plateau. Ici, c'est un homme assis sur une chaise (tantôt il se balancera au bout d'une corde élastique, se frottant rythmiquement l'entre-jambes à l'aide d'un escarpin de dame), ailleurs une brune pulpeuse assise à une table, entourée d'une jeune fille (elle deviendra sa victime en un rite meurtrier inlassablement répété) et d'un homme (qui reviendra par la suite occuper un fauteuil rétif). Un autre attend en coulisses, peut-être un inspecteur de police qui mènera plus tard un interrogatoire en phrases brisées, et les jambes d'une femme se devinent dans les cintres, déambulant avec une lenteur extrême sur une fragile passerelle. Quelques néons colorés, obliquement suspendus, éclairent la scène, lui donnant son caractère: sordide et forcené.

Tout le reste, une heure durant, ne fera guère qu'exploiter les variantes de cette position de départ, porté par une esthétique la violence pure qui voit en flaque accessoire l'instrument d'un supplice obscur, en chaque personnage un acteur d'une mystérieuse histoire criminelle. Des gestes se répètent, indéfiniment, présences hésitantes mimant un acte fatidique ou son souvenir, bégayant un rite de mort en une litanie des corps. C'est glacé et infiniment agressif, très vite porteur d'un malaise qu'on ne se définit que trop bien : contemplation d'une violence frénétique, qui semble s'acharner avec une insistance maniaque à jouer cent fois la même scène insoutenable.

On ne discute pas ce spectacle : Il Carrozzone exprime un arbitraire total, porté à un achèvement imperturbable. On connaît des troupes et des créateurs qui, sur le même ton et avec des moyens comparables, exploitent des thématiques plus riches et posent des gestes autrement fondamentaux. Mais l'ensemble fonctionne à la manière d'un parti pris : « Punto di Rottura » s'impose à nos phantasmes contemporains avec la force du dénouement. A celui qui ne prononce qu'un seul mot, on ne trouve rien à rétorquer. Quand ce mot est « Tue! », dit sur un ton haineux, on ne peut se défendre d'une certaine fascination...

D.D.Br.

Auteur Daniel De Bruycker

Publication Le Soir

Performance(s) Punto di Rottura

Date(s) du 1979-10-27 au 1979-10-29

Artiste(s) Groupo Il Carrozone

Compagnie / Organisation